PLUVINEL.
SIRE, Tant d'excellents Chevaliers ont parlé de la sorte qu'il
fallait emboucher les chevaux, & particulièrement le seigneur
Pietro Antonio Ferrara, Gentilhomme Napolitain, en a écrit
si dignement, & avec tant de soin, & de jugement, qu'il est impossible
de faire mieux. C'est pourquoi ceux qui seront curieux de voir grand nombre
d'embouchures de diverses façons, pourront jeter l'œil ( si bon
leur semble ) sur ce qu'il en a mis en lumière.
Pour
moi ( SIRE ) je me contenterai d'obéir au commandement qu'elle m'a
fait, de lui dire de quelle sorte je ne sers des embouchures, & comme
j'en use. La meilleure qui se puisse rencontrer, est celle qui ne fait
point de mal dans la bouche du cheval, conduite par la bonne main du Chevalier,
& par la bonne école qu'il lui donnera : car de croire ( comme
il y en a plusieurs ) que la bride seule soit celle qui assure la tête
du cheval, & qui le fasse reculer & tourner au gré du Chevalier,
ce sont des comptes trop absurdes, desquels je ne désire pas entretenir
votre Majesté. Car tout ainsi que la diversité des éperons,
soit piquant ou mornés, ne font pas manier les chevaux, s'ils ne
sont placés aux talons de quelqu'un qui s'en puisse bien servir
; tout de même la diversité des bribes n'accommode pas la
tête, ni la bouche des chevaux, si la main de celui qui s'en sert,
n'est expérimenté en l'exercice. Néanmoins il est
nécessaire de donner de la commodité, & du plaisir au
cheval, le plus que faire se pourra ; étant certain qu'il y a des
embouchures qui peuvent servir aux uns, qui ne seraient pas propre
aux autres : & qui au lieu de leur être agréable dans
la bouche, leur apporteraient de l'ennui. Pour cette cause
je dis, que le principal effet du mors consiste en la branche longue, ou
courte, flacque ou hardi ; l'œil haut ou bas, droit ou renversé.
Comme pour exemple, si le cheval porte le nez trop haut, faut que l'œil
de la branche soit un peu haut, le bas de la branche jeté en avant,
qui s'appelle hardie, qui est propre pour ramener la tête du cheval.
Si au contraire le cheval porte la tête trop bas, il faut que
la branche soit flacque jetée en arrière, & l'œil bas.
Mais si naturellement il porte bien sa tête, il sera besoin que les
branches soient justes, par ligne droite depuis le banquet jusques au touret
de l'anneau de la rêne.
Quant
à l'embouchure, la pratique m'a appris qu'une douzaine ou
plus suffisent pour toutes sortes de chevaux : à savoir un canon
simple, montant peu ou beaucoup, ou avec une pignatelle, c'est-à-dire,
que les pas d'âne trébuche en arrière, qui ne peut
offenser le palais de la bouche du cheval.
La seconde, une escache à pas d'âne trébuchant de
même.
La troisième, une escache à deux petits melons à
couplet montant garni d'annelets rayés : étant à noter
que tous les pas d'âne en doivent être garnis pour donner plaisir
à la langue du cheval :
la quatrième tout de mêmes, excepté que l'escache
doit être de la forme d'un petit bâtonnet, & les
melons un peu plus hauts, comme ballotes.
La cinquième, deux melons avec deux petits anneaux
derrière, à pas d'âne tout d'une pièce.
La sixième, deux poires fort étroites, avec deux
petites balottes près du pas d'âne, qui trébuche de
deux côtés.
La septième, des poires coupées à pas d'âne.
La huitième, deux poires renversées à la Pietro
Antonio, le pas d'âne prenant entre la branche & la poire.
La
neuvième, une Pluvinelle, qui est l'embouchure toute d'une pièce,
à peu près comme une simple genette.
La dixième, toute semblable, sinon deux petites ballotes fort
étroites enchâssées dans l'embouchure.
L'onzième, une bâtarde, qui tient de la genette &
de la Française, qui a de l'ouverture, & non point de pas d'âne
: la gourmette étant tout d'une pièce, de façon qu'elle
soutient juste le mors.
La douzième, une genette, de quoi je me sers pour
les haquenées, chevaux de pas, ou de chasse, pource que je les trouve
plus légers à la main.
Mais pour bien ordonner un mors au cheval qu'on veut emboucher, il faut
savoir connaître ce qu'il a besoin pour sa commodité, &
de celle du Chevalier :
Premièrement que le cheval ait la commodité de la langue,
qui lui est nécessaire.
Que l'embouchure porte sur le coin des gencives, puis si la lèvre
est trop grosse, la séparer d'avec la gencive avec les annelets
; y ayant quantité de chevaux qui mettent la lèvre sous l'embouchure,
& par ce moyen en ôte l'effet.
En après il faut bien approprier les branches &
l'embouchure, courtes, longues, flacques ou hardies : l'œil
haut, ou bas, selon que le requiert la forme de l'encolure, & la posture
de la tête du cheval.
Prendre garde aussi sur toutes choses que la gourmette porte & repose
à sa place, qui est le petit pli sous la barbe du cheval.
Et si par hasard le crochet de la gourmette pinçait la lèvre,
il le faudra fort courber en haut vers la branche du mors, ce qui arrivent
fort souvent, principalement quand l'embouchure est un canon, à
cause de sa rondeur, qui enfle & relève la lèvre par
trop.
Considérer en outre, si la bouche est beaucoup fendue, &
en ce cas lui mettre du fer davantage dedans.
Ou bien mettre la tranche-fille plus haut près de l'œil de la
branche, voire dans l'œil même, s'il est besoin. Si aussi la
bouche est peu fendue, lui faudra mettre peu de fer dedans, & s'il
est besoin ôter la tranche-fille du tout. Si le cheval ouvre la bouche
par trop, le pas d'âne à la Pignatelle lui sera plus propre,
pource qu'il trébuche en arrière sur la langue ; ayant été
inventé tout exprès pour cet effet, & pour n'offenser
le palais de la bouche du cheval.
S'il tourne la bouche en façon de ciseaux deçà
& delà ; les embouchures d'une pièce sont les meilleures,
& nécessaires pour empêcher cette action mal séante,
& à tels chevaux serrés fort la muserolle. Toutes lesquelles
choses sont si nécessaires d'observer soigneusement, que qui y manque
en la moindre partie, la bouche du cheval, & la main du Chevalier ne
peuvent avoir leur commodité parfaite. V
oilà donc en termes généraux, ce que
je juge propre pour emboucher toutes sortes de chevaux, tant pour la proportion
des branches, que du dedans de la bouche du cheval, en y ajoutant ou diminuant,
avançant, reculant, ou changeant quelque pièce de l'embouchure
: car pour la gourmette, encore qu'il s'en fasse de plusieurs façons,
je ne me sers que de l'ordinaire bien proportionnée, excepté
quand le cheval a la barbe déliée, tendre & fort sensible,
je lui en mets une de cuir jusques à ce qu'il soit du tout ferme
de tête, étant très-nécessaire de bien
ajuster cette pièce, principalement à ceux qui n'ont que
la peau sur les os de la barbe, & point de petit pli pour tenir, &
empêcher qu'elle ne monte par trop : ce qui se rencontrent en beaucoup
de beaux & bons chevaux : mais pour y remédier, il faut tenir
les crochets de la gourmette un peu longs & courbes ; & par conséquent
les mailles ou anneaux plus courts : & s'il est besoin, mettre un petit
annelet au-dessus de chacun des deux crochets dans l'œil de la branche
du mors, qui empêchera le crochet de se soulever, & le contraindra
de demeurer toujours bas en sa place ; que je trouve être
le plus grand secret pour ajuster la gourmette.
Quant à la mesure & proportion des mors, tant des branches
que des embouchures, il ne s'en peut parler qu'en général,
pource que chaque cheval portant la juste mesure de sa tête, de sa
bouche, de sa bonne ou mauvaise posture, & de son encolure droite,
renversée, bien ou mal tournée, courte ou longue :
C'est au prudent & judicieux Chevalier d'approprier l'embouchure
& la branche, selon ce qu'il connaîtra être expédiant
pour la commodité de lui, & de son cheval. Voilà
( SIRE ) ce que j'ai pratiqué, & rencontré être
le meilleure pour emboucher les chevaux, ce qui empêchera que
je ne m'étende d'avantage en cette recherche : joint qu'ayant éprouvé
le peu de profit que la quantité d'embouchures apporte, cela m'a
obligé de m'arrêter à ce que j'ai trouvé être
le plus utile : pouvant dire avec vérité, n'avoir jamais
vu de chevaux qui avec la bonne école ne se soient accommodés,
& demeurés en bonne action, avec l'une des embouchures
ci-dessus nommées. Partant ( SIRE ) votre Majesté aura agréable,
s'il lui plaît, que j'en demeure à ce terme, &
que je finisse ce discours par un très-humble remerciement, de l'honneur
qu'elle m'a fait de s'être donné la patience de l'entendre
: priant Dieu de tout mon cœur, que le plaisir qu'elle m'a témoigné
prendre en m'écoutant, puisse tellement agir dans sa mémoire
qu'en ayant retenu la plus grande partie, elle le puisse mettre en pratique
aux occasions nécessaires, au contentement général
de tous ses sujets, & du mien en particulier, qui n'aurait point de
regret de quitter le monde, après un tel ressentiment de plaisir.