Quand le cheval se forge .
par Luciano Francesco, article paru dans Infor
Maréchalerie numéro 64 et Hipponews
juin 98
Il arrive souvent d'entendre le bruit des fers qui se touchent a chaque
foulée du cheval, surtout au trot. Parfois, le bruit se répète
toutes les deux foulées. Parfois ce bruit se produit pendant plusieurs
foulées à la suite, il marque une courte pause pour recommencer
aussitôt. Généralement, le cavalier, gêné,
arrête brusquement le cheval ou bien le met au galop avec une violente
action de jambes afin de faire cesser ce bruit énervant. Le cheval
a un défaut: "il touche son pied antérieur avec son postérieur
du même côté". Le terme utilisé couramment pour
cette anomalie est: "se forger".
Selon le point de l'antérieur touché par le postérieur,
on distingue ce défaut avec plusieurs termes: "se forger en voûte",
"se forger en talons", se forger dans les régions supérieures
du membre
Quand la pince du postérieur va s'encastrer dans la rive interne
du fer intérieur plus ou moins à la hauteur de la pince.
Dans ce cas, le fer postérieur peut ne pas parvenir à se
dégager du fer antérieur, alors le cheval s'écroule
au sol.
Quand la pince du fer postérieur frappe l'extrémité
des éponges (l) du fer antérieur. Dans ce cas, si le fer
postérieur ne parvient pas à se dégager, soit le cheval
arrache son fer antérieur, soit il tombe.
Dans les régions supérieures au membre
Si le cheval se touche dans les régions supérieures du
membre, les dégâts peuvent être considérables
: d'une simple contusion des glômes à une fracture d'un sésamoïde
ou à d'autres atteintes osseuses.
Les causes
Au premier plan, celles de nature génétique suivent de
près l'état physique et la ferrure. Les chevaux courts aux
membres longs; ceux présentant les membres antérieurs plus
courts que les posté- rieurs; ceux avec un mauvais aplomb, sont
les sujets les plus frappés par cette anomalie. Il est intéressant
de constater qu'un défaut d'aplomb peut aussi bien réduire
qu'accentuer l'anomalie en question. Par exemple, les chevaux panards des
antérieurs sont plus sujets à se forger en talon externe,
alors que les chevaux panards des postérieurs se forgent rarement.
Le mauvais état physique accentue ce défaut, surtout chez
les poulains fatigués et/ou mal entraînés. Les chevaux
qui ont des foulées très amples, qui retardent le lever des
antérieurs ou n'écartent pas suffisamment les postérieurs,
comme les trotteurs par exemple, tendent également à se forger.
Dans le cas spécifique des trotteurs de course, il est bien de préciser
brièvement un détail, afin de faire comprendre la complexité
du problème dû à l'exaspération de l'action.
Le trot de course est un trot allongé avec dissociation partielle
des battues diagonales. En d'autres mots, le synchronisme diagonal est
rompu et l'allure peut être définie "unipède" (en 4
temps), puisque le cheval se trouve au début et à la fin
de chaque foulée avec un seul pied posé sur le sol. Le centre
de gravité subit d' importants déplacements latéraux,
rendant l'équilibre instable. Le cheval avance sur 4 pistes, avançant
plus vite avec les postérieurs qu'avec les antérieurs, décrivant
des trajectoires externes (les passages) ; ce décalage entre les
postérieurs et les antérieurs peut atteindre des pointes
de 2 m. A chaque foulée, le cheval parcourt de 6 à 6.20 m,
trottant à une vitesse pouvant aller jusqu'à 12 m/seconde
(43 km/h).
La moindre interférence peut causer des chocs violents entre
postérieurs et antérieurs, qui. dans la meilleure des hypothèses,
obligent le cheval à se mettre au galop.
Pour mieux comprendre les causes du défaut en question, il est
nécessaire d'expliquer certains concepts de physiologie relatifs
aux allures "normales et défectueuses du cheval, ainsi qu'à
l'évolution des mouvements des antérieurs et des posté
rieurs. Chez un cheval sans défaut d'allure, au pas, le pied en
mouvement décrit une courbe régulière lierre dont
l'apex se trouve en correspondance du membre opposé en appui (voir
dessin).
Au pas, les pieds défectueux, c'est-à-dire les pieds
dont l'axe digital est plus vertical ou plus oblique, ont par conséquent
les talons trop bas ou trop hauts et décrivent, en marchant, une
courbe irrégulière. Dans le cas de talons bas et pince trop
longue (axe digital inférieur à 45°), le cheval lève
son pied en retard puisque la pince agit comme un point d'appui d'un bras
de levier long, en décrivant- vent une courbe irrégulière
dont l'apex se trouve déplacé à l'arrière du
centre (voir dessin).
Au contraire, dans le cas de pince courte et talons hauts (axe digital
supérieur à 55°), le cheval lève le pied plus
rapidement, en décrivant également une courbe irrégulière,
mais avec l'apex déplacé vers le membre opposé (voir
dessin).
A ce stade, les choses apparaissent claires et simples, mais les théories
engendrent toujours des doutes et se révèlent souvent opposées
et contraires. Des auteurs italiens ( et pas n'importe lesquels, je parle
de Fogliata et de Chiari) sont unanimement d'accord avec la bibliographie
mondiale sur la forme de la courbe décrite, selon l'inclinaison
de l'axe digital et selon la hauteur des talons, mais ils sont d'avis opposé
quant à la rapidité du lever du pied.
Le prof. Fogliata décrit l'action en ces termes: "Dans le pied
bas jointé (2), par manque de talons et la longueur de la pince,
le lever du pied sera court et rapide, le poser sera long et lent... Dans
le pied bot, où les talons sont hauts et la pince courte, le lever
sera long et prolongé et le poser court et rapide". Des auteurs
français et anglais de l'époque, ainsi que des auteurs amériCains
modernes soutiennent au contraire la théorie opposée. Très
prudemment et sagement, le Dr Viencenzzo De Maria dans son livre "Maréchalerie"
se tient à mi-chemin entre les deux théories. personnellement
je me suis intéressé à cet arguments ar je pense qu'il
n'est pas possible de corriger un défaut sans en corriger la cause.
Le traitement
Quand le cheval se forge en raison du mauvais état physique ou
à cause de la mauvaise position du cavalier, les causes sont simples
à traiter: il suffit d'une meilleure alimentation, d'un entraînement
adapté et d'une correction de l'assiette du cavalier (ne pas être
sur les épaules). Par ailleurs, dans tous les autres cas, les solutions
sont à rechercher dans le parage et dans la ferrure.
Le parage doit redonner au pied ses dimensions correctes, ainsi que
son juste équilibre et son angle idéal. Pratiquement, il
faut respecter l'inclinaison naturelle de l'axe digital du sujet ( on ne
peut pas transformer un bas jointé en un droit jointé), la
proportion des hauteurs en pince, en quartiers et en talons; l'équilibre
correct du pied par rapport aux lignes d'aplomb et aux rayons osseux supérieurs
.
Avec la ferrure, on mettra en oeuvre tous les remèdes possibles
pour modifier ou corriger le poser du pied. Il faut donc réitérer
le concept suivant: "le parage n'est pas correctif, c'est donc le fer qui
doit être réalisé et posé pour corriger le défaut".
Il faut à tout prix éviter des points d'accrochage avec le
fer postérieur, c'est pourquoi l'ajustage inversé aidera
la pince du fer postérieur à se dégager, dans le cas
d'un cheval qui se forge en voûte.
Les éponges biseautées éviteront les accrochages.
Les fers postérieurs devront retarder l'action et allonger l'empreinte.
Le retard d'action peut être obtenu en réalisant deux branches
américaines de 1,5 à 2 cm (en faisant attention que le cheval
ne s'atteigne pas), ou bien en réalisant 2 crampons de 0,6
à 1 cm de hauteur.
L'empreinte sera allongée en posant un fer que l'on reculera
le plus possible, jusqu'à ce que la pince du sabot dépasse
de 5-6 mm, sans éliminer à la râpe cet excédent
de corne. En outre, la pince pourra être tronquée en arrondissant
l'arête inférieure pour éviter que le fer ne s'accroche
dans le
Fer postérieur reculé afin d'allonger l'empreinte et de
retarder l'action. fer antérieur. Maintenant, j' en aurais déjà
assez dit sur les méthodes courantes. Il existe d'autres ferrures
possibles, à mon avis moins efficaces, comme: le fer antérieur
avec relevé de pince type polo, ou fer avec protections en talons,
obtenues en repliant les éponges vers le haut, comme des spatules;
les fers postérieurs avec un gros pinçon dont la pointe est
arrondie, afin d'éviter les accrochages- (mais qui frappe
et qui frappe dur !).
Cependant, par souci de clarté et afin de ne pas rester dans
le vague quant aux théories des deux podologues italiens, je voudrais
citer deux épisodes, vérifiés par mes propres soins.
Le cheval Zar, de race Bujonni de six ans, bas jointé des antérieurs,
ainsi que des postérieurs, entraîné pour l'endurance,
se forgeait plutôt en voûte. Il avait été ferré
depuis peu avec soin, avec des fers postérieurs à crampons
et mouches anglaises (hauteur 1 cm). Les allures paraissaient suffisamment
bonnes et le cavalier n'entendait pas de bruit. Puisqu'en endurance les
crampons ne sont pas indiqués, car ils procurent des traumatismes
aux membres, il fut décidé d'éliminer les crampons
et les mouches anglaises.
Sans déferrer le cheval, à l'aide d'une ponceuse, le fer
fut rendu parfaitement lisse. Le cheval se remit aussitôt à
se forger. On pourrait dire que l'effet "retardateur" des crampons avait
cessé, mais on pourrait ajouter qu'en ayant abaissé les talons,
la courbe s'était automatiquement modifiée.
Toujours le même cheval, avec une paire de fers en aluminium tout
neufs aux antérieurs, continuait à se forger. S'agissant
de fer à l'usure rapide, le cheval posant naturellement le pied
en talons, bientôt le fer devint très fin en talons, restant
épais en pince. Le cheval arrêta de se forger. Dans ce cas
également on peut considérer valable la théorie de
la modification de la courbe décrite par un pied aux talons bas.
Autre épisode: le cheval Aspro, demi-sang P.S.A. de huit ans,
se forgeait en permanence normalement, en voûte - il se déferrait
souvent, accrochant le fer en talons. Le cheval est sur les épaules
de son avant-main m est plus basse que l'arrière-main. Puisque le
cheval présentait des bleimes aux angles de fléchissement
des antérieurs, on décida de poser des fers avec des éponges
de 3 mm, en réduisant l'épaisseur à partir de la 2ième
étampure(3). L'amélioration fut immédiate et
le cheval forgeait seulement occasionnellement
Le défaut a diminué très probablement de par l'abaissement
des talons avec le fer, puisque le parage avait été exécuté
comme d'habitude.
Afin d'obtenir une confirmation ultérieure, longtemps après
ce premier changement de ferrure, on posa au cheval une ferrure normale,
accélérant légèrement l'action des antérieurs
et ralentissant celle des postérieurs. Le cheval marcha assez bien
pendant environ 20 à 25 jours, se forgeant seulement de temps en
temps, surtout au trot. Puis il recommença à se forger en
voûte de plus en plus. Pour vérifier la théorie ci-dessus
exposée, je fis déferrer le cheval et sans rien changer au
parage, je fis poser les mêmes fers que l'on venait d'ôter
en y faisant apporter les modifications suivantes: antérieurs à
épaisseur réduite à partir de la deuxième étampure
en talons, modification obtenue en battant le fer à chaud; on compensa
les postérieurs en soudant deux rondelles (8 mm) découpées
dans un rond d'acier, obtenant ainsi des antérieurs à talons
bas et des postérieurs à talons hauts. En mettant ainsi en
pratique le principe du Prof. Fogliata: "Essayer de réaliser une
fusion des deux courbes irrégulières, soit celle des antérieurs
à talons bas et pince longue et celle des postérieurs à
talons hauts et pince courte". Résultat: le cheval a cessé
définitivement de se forger. Afin de véri- fier les bienfaits
de cette ferrure, on fit parcourir au cheval le même chemin que celui
de la veille, aux mêmes allures. D'autres essais furent répétés
les jours suivants sur de longues distances jusqu'à 80 km. Le cheval
se forgeait exceptionnellement seulement sur terrains mous. J'aimerais,
à ce propos, répéter la devise que j' ai citée
d'autres fois: "Dans la ferrure, il n'existe pas de règles indéclinables,
il est seulement nécessaire d'observer, d'essayer, en restant toujours
dans le doute".
Définitions :
(1) Les éponges du fer sont les deux extrémités
du U
(2) Bas jointé : se dit d'un cheval dont les paturons forment
un angle trop important par rapport à la verticale.
Haut jointé : paturons trop verticaux.
(3) Etampures : trous prévus dans le fer pour le passage des
clous.
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