Chez le cheval, qu'est-ce qu'un bon pied ?
Interview de Gabriel Blairon, maréchal- ferrant, par Alain Willemart
HIPPO News -Novembre 1999 .II
Le bon pied est un pied pas trop large, car trop large il est fragile,
et c'est un pied pas trop droit non plus, l'idéal étant,
de profil, un angle d'inclinaison de 45 degrés.
Trop droit ( droit jointé), le pied rend le cheval inconfortable
pour le cavalier. Le cheval est mal à l'aise aussi car le rôle
d'amortisseur de la corne et de l'inclinaison du paturon s'estompent et
les membres encaissent alors tous les chocs. Trop incliné, le pied
travaille mal car les talons disparaissent, et les tendons se fatiguent
à frotter exagérément contre le boulet.
Lorsque le pied dépasse les 45°, il devient plat en dessous
car la sole se rapproche du sol. C'est un mauvais pied car la corne ne
travaille pas dans sa fibre, mais à la flexion et à l'arrachement.
Autre mauvais pied, c'est celui qui n'arrive pas à se "renourrir"
normalement. La conséquence est une mauvaise " soudure" entre la
sole et la muraille car la sole devient convexe. Les inconvénients
sont les mêmes qu'avec les pieds plats.
L'autre mauvais
pied est celui dont la muraille est feuilletée,
presque comme du carton.
Résultat: les impuretés s'immiscent entre les couches
de corne que forent la muraille et remontent très haut, car le travail
du pied pompe tout cela vers le haut. L'évasement du pied (vu de
face) dépend de la forme de la troisième phalange, acquise
par la naissance et qui ne peut être modifiée. La plupart
des pur-sang anglais ont ainsi des pieds plats, larges, évasés,
ce qui n' est pas une tare en soi, mais la muraille n'a pas de hauteur.
Certains trotteurs ont, à l'inverse, une haute muraille (jusqu'à
12-15 cm), avec un bon angle. Le mieux étant l'intermédiaire
: pas trop droit, pas trop évasé, bon angle, hauteur correcte.
. |
Y a-t-il un pied pour chaque usage, chaque discipline, ou bien est-ce
qu'un bon pied est bon pour tous les services ?
Pour l'extérieur, il faut absolument un bon pied robuste, ni
trop large ni trop plat, avec une muraille suffisamment haute. En dressage,
on essaye toujours d'avoir un pied plus long pour obtenir des allures plus
amples, mais comme ils travaillent dans le sable, ils sont moins sujets
à souffrir ou à se blesser. On laisse donc un peu pousser
la corne. En obstacle, le mieux est un pied large aux antérieurs,
car c'est de là que le cheval part et surtout qu'il se reçoit
( les membres antérieurs supportant deux tiers du poids du cheval).
A l'arrière, on préférera un pied droit et coupé
très court pour éviter qu'il forge, c'est-à-dire qu'il
touche ses antérieurs avec ses postérieurs, situation très
fréquente en saut. .
La ferrure est souvent considérée comme un mal nécessaire.
Etes-vous d'accord ?
La ferrure du pied est certainement la pire des choses qu'on ait pu
faire au cheval. Mais c'est un mal nécessaire a cause du terrain
..tarmac, macadam, cailloux... sont autant d'agressions nécessitant
la ferrure. .
Quels conseils généraux donneriez- vous aux propriétaires
de chevaux pour que leur cheval fasse de vieux os et de vieux
pieds ?
D' abord, il faut éviter les intervalles trop longs entre les
ferrages, ou alors ne pas les ferrer du tout et le faire travailler déferré
tant que c'est possible. Sinon, la longévité du cheval dépend
essentiellement de la régularité de son travail. pour vivre
vieux, le cheval doit travailler, sans forcer, bien entendu. Celui qui
ne fait rien s'encroûte, son coeur s'enrobe, ses muscles s'atrophient.
Un cheval qui travaille tous les jours vit plus vieux qu'un cheval qui
travaille deux ou trois fois par an.
Du point de vue du maréchal, qu'est- ce que les propriétaires
pourraient facilement faire eux-mêmes pour l'entretien des pieds,
mais qu'ils oublient souvent ?
La propreté. On l'ignore souvent, mais curer le pieds ne suffit
pas, il faut aussi les laver à l'eau, pas juste au jet, mais avec
une éponge. Ensuite, ne pas sécher le pied, mais "enfermer"
l'eau avec de la graisse. .
Justement : faut-il graisser les pieds ? Si oui, quand et sur quelle
partie ?
Là aussi, il faut rappeler que la graisse ne pénètre
pas dans la corne, mais l'eau oui, par capillarité. La souplesse
de la corne vient donc de l' eau et non de la graisse. Mais le pied transpire,
l'eau s'évapore et le pied devient sec. Il faut donc l'humidifier
souvent et le graisser ensuite sur la sole et la muraille, pour empêcher
autant que possible l'eau de quitter le pied. Dans la pâture, une
zone humide est toujours une bonne chose, à condition que ce ne
soit pas un marécage- . En box, on cure, on douche, on lave,
. puis on graisse.
Certaines graisses sont dite "nutritives". Que
faut-il en penser ?
Elles existent, mais il convient de les appliquer au niveau de la couronne,
c' est-à-dire là où naît la corne, donc là
où commence le pied. Une fois formée, la corne ne peut plus
être modifiée dans sa composition et elle reste identique
durant toute sa durée de vie, jusqu'au bout du pied, lorsque le
maréchal-ferrant finit par la couper. .
Quel intervalle moyen préconisez
vous entre deux ferrures ?
Huit semaines. Mais attention, ce délai varie d'un cheval à
l'autre. Certains, notamment les chevaux âgés, ont des pieds
qui poussent si lentement qu'on les pare tous les six mois. C' est au propriétaire
d'avoir l'oeil. Il est tout aussi insensé d'appeler le maréchal
ferrant sur la seule base de la consultation du calendrier: il faut un
minimum de repousse de la corne pour pouvoir mettre de nouveaux clous.
.Quand peut-on dire qu'il faut appeler le maréchal ? Quand on ne
voit plus le fer, parce que la corne -et surtout la muraille -poussent
par dessus le fer. A ce stade, le fer, s'il est toujours en place, exerce
à chaque pas une pression sur la muraille et tend à l'écarter
de la sole, nuisant à la soudure sole- muraille. .
Au fond, pourquoi le fer trop vieux, mais pas forcément usé,
tombe-t-il ?
Au ferrage, les clous sont enfoncés légèrement
en oblique, vers l'intérieur. Comme le sabot pousse en s'évasant
et que le fer, lui, ne l' élargit pas, les clous sont repoussés
vers l' extérieur jusqu'à la verticale. Les clous sont alors
trop longs, la fixation est donc moins bonne, le fer bouge, les rivets
son malmenés et il finit par tomber. .
Réserver les allures rapides aux
terrains meubles, est-ce une bonne manière de garantir une bonne
longévité des pieds du cheval ?
Tout
dépend du cheval. Avec des pieds plats, il faut être prudent
dans les chemins caillouteux car la sole et la fourchette peuvent prendre
des mauvais coups. Ou bien, il faut mettre une plaque ou une rive interne
pour protéger le bord de la sole (voir plus loin). Cela dit, plus
le pied est suscité, mieux il vit, et dans cette optique, les cailloux
ne sont pas si mauvais que ça. En vacances, lorsque l'on marche
sur une plage de galets, on garde ses chaussures le premier jour car les
galets sont douloureux pour les pieds. Les jours suivants, on y marche
en sandalettes, et à la fin on y court pieds nus car les pieds se
sont habitués. Pour les pieds des chevaux, c'est la même chose.
Anciennement, les chevaux de fiacres de Paris dont les pieds ferrés
s'encastelaient ( se refermaient ), étaient envoyés en province
pour y travailler quelques mois, non ferrés, aux champs ou sur les
chantiers routiers. Ils se refaisaient une santé: leur pieds nus
se " rouvraient" et on pouvait les renvoyer à Paris.
note : Cette technique était d'ailleur la seule connue dans l'antiquité
avant que les romains ne développent les hipposandales, Xénophon
recommandait les bains de galets
|
Que pensez-vous des propriétaires
qui ferrent leurs chevaux eux-mêmes ?
Je ne suis pas contre. Pour la plupart, il ont regardé faire
attentivement avant de se lancer, et ce sont souvent des gens débrouillards.
Et puis, ils ont l'avantage de mieux connaître le cheval que le maréchal,
et ils disposent généralement de plus de temps et de patience.
Or; si l' on ferre son cheval à soi, c'est pour qu'il soit convenablement
chaussé. Je vois donc mal quelqu'un qui n'y connaîtrait rien,
se risquer à ferrer lui-même. Bien sûr, s'il ne vise
que l'économie de la main d'oeuvre et pas le savoir-faire, l'économie
ne durera pas longtemps...
Que pensez-vous des outils de dépannage
"miracle" en maréchalerie : multifonctions, 3 en 1,5en 1, etc. ?
Je n'ai jamais su m'en servir. Exception faite de la pince à
riveter qui est fantastique, mais il faut savoir s'en servir. Plusieurs
de mes clients en ont achetée .. une, espérant pouvoir intervenir
eux- mêmes sur un fer qui bouge, tous veulent me la revendre, car
il ne parviennent pas à s'en servir. Elle m'a été
recommandée par les vétérinaires pour des chevaux
dont les pieds ne supportent pas les coups de marteau, notamment en cas
de fourbure.
Ferrage à froid, ferrage à
chaud : que préférez-vous ?
Outre le ferrage à chaud et à froid, existe- t-il différentes
façons de ferrer ?
On peut ferrer à l'anglaise ou à la française,
ce qui ne change strictement rien à la technique au niveau du pied
lui-même, mais à l'anglaise, on travaille seul,. à
la française, on travaille à deux, l'un tenant le pied tandis
que l'autre travaille dessus. Mine de rien, C'est assez différent
comme travail, puisqu'on voit le pied à l'envers selon l'une ou
l' autre école.
Je pratique les deux. A chaud, on a l'avantage de réellement
cautériser le pied, notamment au niveau de la soudure entre muraille
et sole, ce qui est avantageux pour les chevaux qui ont une faiblesse dans
cette zone ou tout simplement de mauvais pieds. La corne est
ici comparable au gazon d'un " green" de golf ..la tondeuse rotative fauche
et hache le brin d'herbe qui se terminera par une petite floche, qui séchera
sous le soleil et formera des zones roussies indésirables. Avec
une tondeuse à cylindre, le brin est pincé entre deux lames,
comme par une paire ciseaux, et ensuite, l'herbe ne " pleure" pas et le
green est bien vert. Le problème, avec les chevaux qui ont
du sang, c'est qu'ils doivent parfois être habitués très
jeunes à la fumée dégagée par la fonte de la
corne lors de l'application du fer chaud. Non accoutumés, la fumée
les effraye et le travail devient vraiment dangereux pour le maréchal.
Sans ferrage à chaud, il faut soigner au maximum le parage et l'ajustage
du fer et l'on obtient aussi d'excellents résultats.
Certains mauvais pieds peuvent être corrigés
par le maréchal-ferrant. Jusqu'où peut-on aller ?
Je vais retourner le problème: on peut corriger les aplombs
un cheval quand on est chez le vendeur.
Chez l' acheteur, ... on peut corriger un petit temps, mais ça
va revenir. Il n'y a pas de miracle, surtout chez le cheval adulte.
Quand le cheval est poulain et qu'il grandit encore, certains défauts
peuvent être corrigés. Mais de toute manière, il ne
faut jamais aller trop loin, car on force sur l' organisme et on l'use
par ailleurs. Voilà pour les aplombs. Maintenant, on peut parfois
corriger un cheval qui se touche ou qui forge. Mais on agit plutôt
sur le symptôme, pas sur les aplombs.
L 'hipposandale
se développe beaucoup. Qu'en pensez- vous ?
Elle se justifie surtout en équitation sportive, notamment en
endurance, lorsque le cheval perd un fer. A ce stade, plutôt que
de referrer à l'étape, quand le pied est chaud du fait d'avoir
un peu forcé (sans fer, il a été fort suscité),
on chausse une hipposandale en attendant que ça se refroidisse pour
vraiment referrer.
On prête aussi à l 'hipposandale
des vertus que le fer n'a pas. Pourquoi ne la voit-on pas plus souvent
en remplacement pur et simple du fer ?
Sans doute en raison du prix: à ± 1.700 BEF l'unité,
ça fait cher le jeu de quatre, surtout si, entre-temps, il en perd
une en cours de route ou au fond d'un bourbier. Cela dit, ça ne
s'use pas trop vite, d'autant plus que l'on peut les retirer quand le terrain
ne l'impose pas. Mais il faut, de toute façon, les retirer une fois
le cheval au box, car le pied n'y respire pas et est quand même comprimé
d'avant en arrière; et il faut les remettre chaque fois que l'on
part...
Autre "mode" : le travail modéré du cheval non
ferré. Qu'en pensez-vous ?
C' est impeccable comme technique, mais certains pieds y sont plus
adaptés que d'autres. Je connais des étalons Lusitaniens
qui travaillent tout le temps pieds nus, même en endurance, sur les
mauvais chemins, et ça marche! Mais, pas question de demander cela
à un demi-sang belge ou un pur-sang anglais dont les pieds, dans
nos pâturages doux, sont devenus larges, cassants et sensibles. Mais
avec des races à bons pieds, comme l'arabe par exemple, il suffit
de gérer l'usure, de parer un peu au besoin, et c'est tout. Du moins
tant que l'on travaille modérément.
Le pied déferré d'un cheval qui a toujours été
ferré est-il aussi résistant qu'un pied habitué à
cet état?
Un pied sain reste un pied sain. La ferrure ne l'affaiblit pas. Le
problème, c'est la mémoire du cheval, car déferré,
il sentira des choses qu'il n'a pas l'habitude de sentir, car le fer l'a
longtemps privé de ces sensations là. Il sera donc un peu
mal à l' aise, mais c'est surtout dans sa tête que cela se
passera, une accoutumance progressive est donc nécessaire.
L 'hiver approche à grands pas, que conseillez vous, du point
de vue ferrure, sur la neige ou le verglas ?
Dans la neige, il faut éviter l'accumulation de neige dans la
partie concave du pied Cette neige finit par former un cône
instable sous le pied, risquant de faire trébucher le cheval. Pour
éviter cela, on place un amortisseur (bourrelet de caoutchouc entre
le fer et le pied), ou une plaque, ou encore, on peut graisser abondamment
la sole et la fourchette pour empêcher la neige de coller.
Pour le verglas: pointes de tungstène (petits cônes dépassant
d'environ 1,5 mm), ou éventuellement mordax (bouchons de ±
l cm d'épaisseur placés dans les éponges du fer),
à condition de les ôter (ils se dévissent) dès
que les conditions ne le nécessitent plus.
Les mordax sont ils néfastes ?
Oui, sur terrain dur. Les mordax étant des bouchons dépassant
largement sous le fer, le pied est bloqué dès que le pied
touche le sol, ce qui provoque un choc dans la ligne osseuse et dans les
tendons. Rares sont les chevaux qui marchent naturellement en posant littéralement
leurs pieds,. la plupart glissent en posant, c'est un mouvement naturel
que le mordax stoppe net. Ce n'est pas bon. De plus, étant à
l'arrière, ils surélèvent les talons, et toute l'
assise se fait en pince et en talons, la pince du fer s'usant prématurément.
Je ne mets de mordax qu'aux chevaux d'attelage qui doivent vraiment retenir
une charge en descente.
Quelles techniques nouvelles estimez
vous intéressantes ces derniers temps ?
Certains alliages permettent d'obtenir des
fers qui glissent moins, qui sont plus légers (aluminium, titane,
etc.), voire même en matériau non métallique (résine
), qui sont intéressants en compétition. Mais pour un ferrage
courant, ils sont coûteux (± 3.000 BEF de marchandises + main
d'oeuvre) et ils s'usent plus vite que les fers classiques. De plus, les
fers fabriqués à l'étranger sont conçus pour
le marché local (États-Unis, Italie), et ne correspondent
pas au pieds de nos chevaux. Ces fers sont ovales ou en pointe (cfr. Quarter
Horse) quand chez nous les pieds sont plutôt ronds. Il faut donc
travailler le fer pour l'adapter; ce que l'alliage accepte généralement
mal.. il risque de casser; soit sur l'enclume, soit quelques jours plus
tard, sur le pied.
Que pensez- vous des plaques de protection en silicone
?
C'est un excellent moyen de protéger une sole hypersensibilisée,
suite à une affection quelconque. Il s'agit de placer une plaque
en PVC souple, couvrant toute la face inférieure du pied, entre
le fer et la corne, et qui amortit les chocs. Dans l'espace vide ainsi
obtenu, on injecte un silicone spécial qui protège la sole
et la fourchette des agressions. On n'est pas obligé de le laisser
toute la durée de vie du ferrage ..on peut en découper la
partie intérieure, par exemple après une course en terrain
cassant, et dégager fourchette et sole en laissant un pourtour qui
joue alors le rôle d'amortisseur classique, tout en laissant le pied
respirer normalement .
Merci à Gabriel Blairon pour sa disponibilité lors de
cette interview
|