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CHAPITRE IV Du trot
... Il n'est point d'auteurs anciens et modernes qui n'aient dit
que le trot est le fondement des leçons que l'on doit donner à
un cheval ; il n'en est point aussi qui ne se soient contentés de
donner à cet égard des principes généraux ;
nul d'entre eux n'est descendu dans le détail des règles
particulières et dans la distinction des cas qui souffrent des exceptions
; cas qui arrivent fréquemment par les différentes conformations
et par les dispositions plus ou moins favorables des chevaux que l'on entreprend,
en sorte qu'en suivant leurs maximes, on a vu plusieurs chevaux avilis,
pesants et ruinés plutôt que dénoués, et qu'il
est résulté de leurs principes, quoique bons, autant d'inconvénients
que s'ils eussent été dictés par l'incapacité
et l'ignorance.
Le trot, pour produire de bons effets, doit avoir trois qualités
essentielles. Il doit être déterminé, délié
et uni. Ces trois qualités nécessaires ont une dépendance
absolue et participent l'une de l'autre ; on ne peut en effet passer au
trot délié, sans avoir commencé par le trot détermine
; et on ne peut parvenir au trot uni sans avoir fait connaître au
cheval le trot délié.
J'appelle trot déterminé celui dans lequel le cheval trotte
sans se retenir, sans se traverser et par le droit ; c'est conséquemment
celui par lequel on doit commencer, car avant de rien entreprendre, il
faut indispensablement qu'un cheval embrasse sans peine et sans crainte
le terrain qu'il découvre devant lui.
Le trot peut être déterminé sans être délié
; le cheval peut en effet se porter en avant, mais ne pas avoir en même
temps ce dénouement dans les membres qui caractérise le trot
délié. J'entends par mot délié celui dans lequel
le Cheval, en trottant, et dans chaque mouvement de son trot, plie toutes
les jointures, c'est-à-dire celles des épaules, des genoux
et des pieds ; ce que ne peuvent faire les poulains à qui l'exercice
n'a pas encore donné cette facilité dans le maniement de
leurs membres et qui trottent au Contraire avec une raideur étonnante
et sans faire montre du moindre ressort.
Le trot uni est celui dans lequel les mouvements du cheval sont tellement
égaux que ses jambes n'embrassent pas plus de terrain les unes que
les autres ; il faut que, dans cette action le cheval rassemble ses forces
et les distribue également, pour ainsi dire.
Pour passer du trot déterminé au trot délié,
il faut renfermer peu à peu le cheval, et dès qu'il aura
acquis dans cet exercice la souplesse nécessaire pour manier ses
membres avec liberté, vous le renfermerez insensiblement de plus
en plus, et peu à peu vous le conduirez au trot uni.
Le trot est le premier exercice que l'on enseigne au cheval ; cette
leçon est nécessaire mais, donnée sans jugement, elle
devient fausse et préjudiciable.
Les chevaux qui ont de l'ardeur, ont une disposition trop grande au
trot détermine ; ne les abandonnez pas, retenez-les, apaisez-les,
modérez leurs mot]vements en les renfermant avec sagesse : leurs
membres se dénoueront et ils acquerront en même temps l'union
nécessaire,
Le cheval est-il pesant ? Considérez si la pesanteur ou l'engourdissement
des épaules ou des jambes de l'animal, provient d'un défaut
de force ou de souplesse, ou s'il naît d'un exercice défectueux,
outré ou trop médiocre. Si le cheval est pesant parce que
le mouvement de ses bras et de ses épaules est naturellement froid
et paresseux, et si en même temps ses membres sont bons, et que sa
force ne soit que nouée et retenue, pour ainsi dire, le médiocre
niais le continuel exercice du trot le dégourdira, l'assouplira
et lui rendra l'action des épaules et des jambes plus libre. Soutenez-le
en le trottant, mais prenez garde de le retenir jusques au point de trop
modérer ses mouvements ; en le soutenant, aidez-le et chassez-le
en avant ; observez néanmoins que, s'il est chargé de tête,
la continuation du trot pourrait lui rendre l'appui encore plus lourd,
parce que par là il s'abandonnerait encore davantage.
Celui qui aurait des dispositions à être ramingue doit
être tenu au trot déterminé. Tout cheval qui tient
de ramingue a de la disposition à unir ses forces ; ne songez donc
qu'à le déterminer en avant ; dans le temps qu'il vous obéira
et qu'il s'y portera sans peine, retenez-le légèrement, rendez
la main tout de suite, et vous verrez que peu à peu le cheval pliera
les jointures et s'unira de lui-même.
Le cheval froid et paresseux, et dans lequel on trouve de la force et
de la ressource, veut être aussi trotté déterminément.
S'il s'anime, rassemblez-le peu à peu, afin de le conduire insensiblement
au trot délie ; niais si, en le rassemblant, vous sentez qu'il se
retienne et qu'il ralentisse son mouvement, usez des aides vives, chassez-le
en avant, sans cependant cesser de le retenir doucement de la main ; alors
il s'animera et s'unira.
Que si le cheval froid et paresseux manque de force dans les jambes
et dans les reins, ménagez-le dans le trot, autrement vous l'énerveriez.
D'ailleurs, pour vous prévaloir des forces du cheval qui en a peu,
donnez-lui de l'haleine en l'exerçant lentement et en augmentant
peu à peu la vigueur de son exercice, car il faut vous souvenir
que vous devez cesser de travailler un cheval avant que la lassitude l'accable
; n'outrez jamais la leçon dans l'espérance de lui dénouer
les membres en le trottant : vous lui falsifieriez et vous lui endurciriez
l'appui, ce qui n'arrive que trop souvent.
De plus, il est important d'observer que, ni dans le trot déterminé,
ni dans le trot délié, ni dans le trot uni, il ne faut pas
s'attacher à la main, croyant de relever le cheval et de lui placer
la tête. S'il a l'appui à pleine main, et que l'action du
trot soit retenue par la sujétion de la bride, les barres, la barbe
seront bientôt endormies et la bouche totalement endurcie : si, au
contraire, il a la bouche sensible, cette même sujétion la
lui offensera ; il faut donc, comme je l'ai déjà dit, le
conduire insensiblement au véritable appui, lui placer la tête
et lui assurer la bouche par le moyen des arrêts, des demi-arrêts,
en le retenant B d'une main légère, en la rendant aussitôt
et en le laissant souvent trotter sans bride.
Il y a une différence entre les chevaux qui pèsent et
ceux qui tirent à la main. Les premiers s'appuyent et s'abandonnent
sur la main pour etre faibles ou trop chargés, ou pour avoir la
bouche trop charnue et par conséquent endormie. Les autres tirent,
parce qu'ils ont les barres dures et communément rondes et décharnées
; ceux-ci peuvent se ramener par l'exercice du trot et du petit galop,
et ceux-là se peuvent alléger par l'Art en se fortifiant
par le trot. Les premiers, qui pèsent, font ordinairement paresseux
; ceux qui tirent sont pour la plupart impatients, désobéissants
et par cela même plus dangereux et plus incorrigibles.
La seule marque, ou plutôt la marque la plus assurée que
votre cheval trotte bien, c'est lorsqu'en trottant et que vous le pressez
un peu, il est prêt à galoper.
Après avoir trotté votre cheval par le droit, trottez-le
sur de grands cercles, niais avant de le trotter ainsi, faites-lui reconnaître
le terrain au pas. Ce terrain reconnu, exercez-le au trot ; un cheval chargé
et pesant trouve plus de contrainte à tenir ses forces unies pour
pouvoir bien tourner que pour aller par le droit ; cette action du tour
occupe la force de ses reins, sa mémoire et son attention ; ainsi,
qu'une partie de vos leçons se fassent en allant par le droit, terminez-les
même de cette façon, et que les distances des arrêts
multipliés soient courtes, médiocres ou longues selon que
vous le trouverez nécessaire -, je dis des arrêts multipliés,
car les arrêts sont souvent des châtiments pour des chevaux
qui s'abandonnent, forcent la main, ou qui s'appuient trop en trottant.
Il est des chevaux qui ont les épaules assouplies, mais qui néanmoins
s'abandonnent, faute, de la part du cavalier, d'avoir soutenu fort souvent
la main de la bride en les travaillant sur de grands cercles : trottez-les
sur une piste, et bien large, et arrêtez-les Souvent, tenant votre
corps en arrière avec la jambe de dehors pour leur faire baisser
les hanches.
Les principaux effets du trot sont donc d'alléger le cheval
et de lui donner de l'appui. En effet, dans cette action, le cheval est
toujours porté d'un côté sur une jambe de devant, et
de l'autre sur une Jambe de derrière ; or le devant et le derrière
étant également soutenus de biais, le cavalier ne peut manquer
de lui assurer la tête et de lui dénouer les membres ; mais
s'il dispose les esprits et les mouvements du cheval nerveux aux plus justes
leçons, si le trot développe ses forces nouées et
retenues, pour ainsi dire, si ce premier exercice est le fondement de tous
les airs et de tous les manèges, il doit être proportionné
à la vigueur du cheval.
Il ne faut pas, pour en juger, s'arrêter aux actions -apparentes.
Un cheval peut avoir fort peu de reins et accompagner nerveusement quelque
bel air tant que ses forces seront unies, mais la désunion causée
par l'exercice immodéré du trot fera que le cheval traînera
l'air de son manège.
Il en est aussi qui font très forts de reins, mais qui ont les
membres faibles ils se retiennent, ils se courbent en trottant, ils se
défient de leurs épaules, de leurs jambes ou de leurs pieds.
Leur irrésolution ne procède que d'un sentiment naturel qu'ils
ont de leur débilité. Ne les travaillez pas excessivement
au trot, n'usez-pas de châtiments rigoureux ; leurs épaules,
leurs jambes ou leurs jarrets s'affaibliraient, de façon que, venant
bientôt à s'acculer ou à s'abandonner sur l'appui,
ils ne pourraient plus se soutenir et fournir à aucun air avec vigueur
et avec justesse. Que vos leçons soient donc bien méditées
; l'unique moyen qui peut vous assurer de leurs succès est la sagesse
dans la dispensation que vous ferez des forces de l'animal, et dans la
sagacite avec laquelle vous déciderez du manège auquel son
inclination et sa disposition le portent.
Je termine ce chapitre par la façon dont on trotte un jeune cheval
avant de le monter. Mettez-lui un simple bridon dans la bouche, ajustez-lui
un caveçon sur le nez, à l'anneau duquel vous attacherez
une longe d'une longueur raisonnable. Faites tenir cette longe par un palefrenier
qui, après avoir éloigné de lui le cheval, restera
immobile dans le centre de la volte ou du cercle qui décrira le
cheval. Faites suivre le cheval par quelqu'un armé d'une chambrière
; l'animal, en ayant peur, sera obligé d'aller en avant et de tourner
de la longueur de la corde. Le palefrenier tiendra la longe ferme dans
la main ; par ce moyen, il tirera en dedans la tête du cheval, et
la croupe sera conséquemnient hors du cercle.
En travaillant le jeune cheval de cette manière, ne le pressez
point. Faites-le d'abord cheminer au pas, ensuite déterminez-le
au trot. Si vous n'observez point cette méthode, il ne débarrassera
pas ses jambes, il sera penché d'un côté et plus sur
une hanche que sur l'autre ; le pied de devant, du dedans la volte, heurtera
celui de dehors, et la douleur que le cheval ressentira l'obligera de chercher
une défense et J'empêchera d'obéir.
Si le cheval refuse de trotter, la personne armée de la chambrière
l'animera, en frappant le cheval ou en frappant de la chambrière
à terre. S'il galope au lieu de trotter, le palefrenier secouera
la longe attachée au caveçon, et le cheval se remettra au
trot.
Dans cette leçon, on décide bien plus aisément
de la nature, de la force, de l'inclination et de la gentillesse du cheval
que des qualités de celui qui est monté d'abord ; alors il
est plus facile d'observer et de considérer tous ses mouvements,
au lieu que, s'il est sous le cavalier, dans ces premiers commencements
son naturel étant de se révolter, de se tirer de la sujétion
et d'employer toute sa force et toute son industrie pour se défendre
de l'Homme, il est moralement impossible de porter un jugement sur sa disposition
et sur son aptitude.