Les grands maitres et leur pratique équestre ....

Georges Louis Leclerc Comte de Buffon :

La plus noble conquete du cheval

 
 
 

Buffon (1705-1788) fut Intendant des Jardins du Roi et a participé à la grande aventure scientifique qui vu également la parution de l'Encyclopédie.  L"HISTOIRE NATURELLE " qu'écrit Buffon se compose de plusieurs parties.

La première riche de 15 volumes sort en 1753 des presses royales sous le titre de "HISTOIRE NATURELLE, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roy".
Suivent ensuite  de 1770 à 1783 9 volumes de l"Histoire naturelle des oiseaux" puis de 1174 à 1789 sept tomes de "Suppléments à l'Histoire Naturelle" et enfin de 1783 à 1788 cinq premiers volumes de l'3histoire naturelle des minéraux"
Buffon n'écrit pas toujours seul, il s'entoure de "scintifiques", il collabore entre autre avec Daubendon  pour la partie anatomie, Cuvelier ou Lavoisier pour la chimie et la géologie.

Mais Bufon reste aussi dans la droite ligne des autres anciens, Arisdtote ou Pline, il décrit et commente ces observations, mais se contente de rapporter sans chercher systématiquement à vérifier.  S'il ne recourt pas l'a systématique, ni aux classements, c'est que Buffon garde unepartie des méthodes de Descartes, c'est à l'étalon de l'utilité pour l'homme qu'il ordonne les connaissances.  C'est ainsi que le cheval reçoit dans son oeuvre la première place, juste après l'introduction.

Le carractère "utile" s'accompagnant de "notes et commentaires sur les moyens d'augmenter l'utilité, de réduire les défauts, et ce qu'il convient de savoir du comportement des epèces animales"

Plusieurs éditions de l'"HISTOIRE NATURELLE" se sont succédées avec deux ajouts de la main de Bufffon même.  Son ouvrage monumental fera l'objet par la suite de plusieurs rééditions.  La langue de Buffon est splendide mais plus orientée vers l'oeuvre littéraire que vers un ouvrage scientifique.  J'ai ici pour la clarté du texte opéré des regroupements de notes et une division en chapitres, ainsi que la supression de parties corrigées par Buffon dans ces ajouts successifs..

L'histoire Naturelle et les notes préfigurent avec plusieurs siecles d'avance les travaux des éthologues mordernes et décrit nombre de technique que les "nouveaux maîtres" revendiquent.
 
 

HISTOIRE NATURELLE DU CHEVAL. 


LE CHEVAL. 


LE CHEVAL ORDINAIRE. 
EQUUS CABALLUS. Linn. Cuvier. 
EQUUS DOMESTICUS. Klein. 

  • Introduction
  • Le cheval sauvage
  • Les moyens de commander
  • l'éperon et le mors
  • l'ouie
  • Les allures
  • le pas
  • trot
  • galop
  • comparaison
  • amble
  • La conformation
  • l'age et les dents
  • L'elevage
  • le choix des géniteurs
  • les prairies du harras
  • la détection des chaleurs
  • la monte
  • La dégénerescence des lignées pures
  • Les robes
  • L'accouplement et la gestation
  • Le poulain, les vers de praies, le sevrage et le débourrage
  • La Croissance
  • Les races de chevaux en France et à l'étranger
  • Les chevaux de France
  • Les chevaux d'Espagne
  • Les chevaux Anglais
  • Les chevaux d'Italie
  • Les chevaux d'Allemagne
  • Les chevaux de Hollande
  • Les chevaux d'Islande
  • Les chevaux de Nordlande
  • Les chevaux de Norwege
  • Les chevaux de Chine et du Japon
  • Les chevaux barbes
  • les chevaux Arabes et du Levant
  • La sélection
  • les certificat
  • l'alimentation
  • le logement avec la famille sous la tente
  • Les chevaux de Perse
  • Les chevaux d'Inde et de Tartarie
  • Le cheval Tarpan
  • Les chevaux de Finlande
  • Les chevaux du Don
  • Les chevaux des îles
  • Les chevaux des anciens
  • Conclusion sur les races
  • Le comportement
  • Hongrer et ces effets
  • Hennissements
  • Humeurs et Mémoire
  • Sommeil
  • Boisson et Alimentation
  • Morve et autres considérations sur les maladies
  • La plus noble conquête que l'homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats; aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l'affronte; il se fait au bruit des armes, il l'aime, il le cherche et s'anime de la même ardeur; il partage aussi ses plaisirs; à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle; mais docile autant que courageux, il ne se laisse point emporter à son feu, il sait réprimer ses mouvements; non seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs, et obéissant toujours aux impressions qu'il en reçoit, il se précipite, se modère ou s'arrête, et n'agit que pour y satisfaire.

    C'est une créature qui renonce à son être pour n'exister que par la volonté d'un autre, qui sait même la prévenir; qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l'exprime et l'exécute; qui sent autant qu'on le désire, et ne rend qu'autant qu'on veut; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s'excède et même meurt pour mieux obéir. 
     

    Voilà le cheval dont les talents sont développés, dont l'art a perfectionné les qualités naturelles, qui dès le premier âge a été soigné et ensuite exercé, dressé au service de l'homme; c'est par la perte de sa liberté que commence son éducation, et c'est par la contrainte qu'elle s'achève: l' esclavage ou la domesticité de ces animaux est même si universelle, si ancienne, que nous ne les voyons que rarement dans leur état naturel; ils sont toujours couverts de harnais dans leurs travaux; on ne les délivre jamais de tous leurs liens, même dans les temps du repos; et si on les laisse quelquefois errer en liberté dans les pâturages, ils y portent toujours les marques de la servitude, et souvent les empreintes cruelles du travail et de la douleur: la bouche est déformée par les plis que le mors a produits; les flancs sont entamés par des plaies, ou sillonnés de cicatrices faites par l'éperon: la corne des pieds est traversée par des clous; l'attitude du corps est encore gênée par l'impression subsistante des entraves habituelles; on les en délivrerait en vain, ils n'en seraient pas plus libres; ceux même dont l'esclavage est le plus doux, qu'on ne nourrit, qu'on n'entretient que pour le luxe et la magnificence, et dont les chaînes dorées servent moins à leur parure qu'à la vanité de leur maître, sont encore plus déshonorés par l'élégance de leur toupet, par les tresses de leurs crins, par l'or et la soie dont on les couvre, que par les fers qui sont sous leurs pieds. 

    Le cheval sauvage

    La nature est plus belle que l'art; et, dans un être animé, la liberté des mouvements fait la belle nature: voyez ces chevaux qui se sont multipliés dans les contrées de l'Amérique espagnole, et qui y vivent en chevaux libres: leur démarche, leur course, leurs sauts, ne sont ni gênés ni mesurés; fiers de leur indépendance, ils fuient la présence de l'homme, ils dédaignent ses soins, ils cherchent et trouvent eux-mêmes la nourriture qui leur convient; ils errent, ils bondissent en liberté dans les prairies immenses où ils cueillent les productions nouvelles d'un printemps toujours nouveau; sans habitation fixe, sans autre abri que celui d'un ciel serein, ils respirent un air plus pur que celui de ces palais voûtés où nous les renfermons en pressant les espaces qu'ils doivent occuper; aussi ces chevaux sauvages sont-ils beaucoup plus forts, plus légers, plus nerveux, que la plupart des chevaux domestiques; ils ont ce que donne la nature, la force et la noblesse; les autres n'ont que ce que l'art peut donner, l'adresse et l'agrément.
    Le naturel de ces animaux n'est point féroce; ils sont seulement fiers et sauvages; quoique supérieurs par la force à la plupart des autres animaux, jamais ils ne les attaquent; et s'ils en 
    sont attaqués, ils les dédaignent, les écartent ou les écrasent; ils vont aussi par troupes et se réunissent pour le seul plaisir d'être ensemble, car ils n'ont aucune crainte, mais ils prennent de l'attachement les uns pour les autres: comme l'herbe et les végétaux suffisent à leur nourriture, qu'ils ont abondamment de quoi satisfaire leur appétit, et qu'ils n'ont aucun goût pour la chair des animaux, ils ne leur font point la guerre, ils ne se la font point entre eux, ils ne se disputent pas leur subsistance, ils n'ont jamais occasion de ravir une proie ou de s'arracher un bien, sources ordinaires de querelles et de combats parmi les autres animaux carnassiers; ils vivent donc en paix, parce que leurs appétits sont simples et modérés, et qu'ils ont assez pour ne se rien envier. 

    Tout cela peut se remarquer dans les jeunes chevaux qu'on élève ensemble et qu'on mène en troupeaux; ils ont les mœurs douces et les qualités sociales, leur force et leur ardeur ne se marquent ordinairement que par des signes d'émulation; ils cherchent à se devancer à la course, à se faire et même s'animer au péril en se défiant à traverser une rivière, sauter un fossé et ceux qui dans ces exercices naturels donnent l'exemple, ceux qui d'eux-mêmes vont les premiers, sont les plus généreux, les meilleurs, et souvent les plus dociles et les plus souples lorsqu'ils sont une fois domptés. 
     

    Quelques anciens auteurs parlent des chevaux sauvages, et citent même des lieux où ils se trouvaient; Hérodote dit que sur les bords de
    l'Hypanis en Scythie, il y avait des chevaux sauvages qui étaient blancs, et que dans la partie septentrionale de la Thrace au-delà du Danube, il y en avait d'autres qui avaient le poil long de cinq doigts par tout le corps; Aristote cite la Syrie, Pline les pays du nord, Strabon les Alpes et l'Espagne comme des lieux où l'on trouvait des chevaux sauvages. Parmi les modernes, Cardan dit la même chose de l'Ecosse et des Orcades (1), Olaus de la Moscovie, Dapper de l'île de Chypre, où il y avait, dit-il (2), des chevaux sauvages qui étaient beaux et qui avaient de la force et de la vitesse; Struys (3) de l'île de May au Cap Vert, où il y avait des chevaux sauvages fort petits; Léon-l'Africain (4) rapporte aussi qu'il y avait des chevaux sauvages dans les déserts de l'Afrique et de l'Arabie, et il assure qu'il a vu lui-même dans les solitudes de Numidie un poulain dont le poil était blanc et la crinière crépue. Marmol (5) confirme ce fait, en disant qu'il y en a quelques-uns dans les déserts de l'Arabie et de la Libye, qu'ils sont petits et de couleur cendrée, qu'il y en a aussi de blancs, qu'ils ont la crinière et les crins forts courts et hérissés, et que les chiens ni les chevaux domestiques ne peuvent les atteindre à la course.

    (1) Vid. Aldervand. de Quadrupedib. soliped. lib. l, pag. 19. 
    (2) Voyez la description des îles de l'Archipel, page 50. 
    (3) Voyez les voyages de J. Struys Rouen 1719 tome I page 11
    (4) De Africae descriptionne part II vol 11 p 750, 751
    (5) Voyez  L'Afrique de Marmol Paris 1667 tme I page 50
     

    On trouve aussi dans les Lettres édifiantes (1) qu'à la Chine il y a des chevaux sauvages forts petits.

    Comme toutes les parties de l'Europe sont aujourd'hui peuplées et presque également habitées, on n'y trouve plus de chevaux sauvages; et ceux que l'on voit en Amérique sont des chevaux domestiques et européens d'origine, que les Espagnols y ont transportés, et qui se sont multipliés dans les vastes déserts de ces contrées inhabitées ou dépeuplées; car cette espèce d'animaux manquait au Nouveau-Monde. 

    L'étonnement et la frayeur que marquèrent les habitants du Mexique et du Pérou à l'aspect des chevaux et des cavaliers, firent assez voir aux Espagnols que ces animaux étaient absolument inconnus dans ces climats; ils en transportèrent donc un grand nombre, tant pour leur service et leur utilité particulière, que pour en propager l'espèce; ils en lâchèrent dans plusieurs îles, et même dans le continent, où ils se sont multipliés comme les autres animaux sauvages. M. de la Salle (2) en a vu en 1685 dans l'Amérique septentrionale, près de la baie de Saint-Louis; ces chevaux paissaient dans les prairies, et ils étaient si farouches, qu'on ne pouvait les approcher. 

    (1) Voyez les Lettres édifiantes, recueil XXVI, pag. 37l.
    (2) Voyez les dernières découvertes dans l'Amérique septentrionale de M. de la Salle, mises au jour par M.le chevalier Tonti, Paris, 1697, page 250.
     

     
    L'excellent auteur Oexmelin de l'histoire des aventuriers flibustiers dit : « qu'on 
    « voit quelquefois dans l'île Saint-Domingue 
    « des troupes de plus de cinq cents chevaux qui
    « courent tous ensemble, et que, lorsqu'ils 
    « aperçoivent un homme, ils s'arrêtent tous; 
    « que l'un d'eux s'approche à distance certaine;
    « souffle des naseaux, prend la fuite, et que tous 
    « les autres suivent» ; 

    Il ajoute qu'il ne sait si ces chevaux ont dégénéré en devenant sauvages, mais qu'il ne les a pas trouvés aussi beaux que ceux d'Espagne, quoiqu'ils soient de cette race; 

    « ils ont, dit-il, la tête fort grosse aussi-bien que 
    « les jambes, qui de plus sont raboteuses; ils ont 
    « aussi les oreilles et le cou longs; les habitants du 
    « pays les apprivoisent aisément et les font ensuite
    « travailler, les chasseurs leur font porter leurs 
    « cuirs; on se sert pour les prendre de lacs de 
    « corde, qu'on tend dans les endroits où ils fré 
    « quentent; ils s'y engagent aisément; et s'ils se 
    « prennent par le cou, ils s'étranglent eux
    « mêmes, à moins qu'on n'arrive assez tôt pour 
    « les secourir; on les arrête par le corps et les 
    « jambes, et on les attache à des arbres, où on les 
    « laisse pendant deux jours sans boire ni manger: 
    « cette épreuve suffit pour commencer à les
    « rendre dociles, et avec le temps ils le devien 
    « nent autant que s'ils n'eussent jamais été 
    « farouches; et même si par quelque hasard ils se « retrouvent en liberté, ils ne deviennent pas 
    « sauvages une seconde fois, ils reconnaissent 
    « leurs maîtres, et se laissent approcher et 
    « reprendre aisément»

    (1) Voy. l'histoire des aventuriers flibustiers, par Oexmelin, Paris, 1686, tom. 1, pag. 110 et 111

    HISTOIRE NATURELLE DU CHEVAL 186
     M. de Garsault donne un autre moyen d'apprivoiser les chevaux farouches: « Quand on n'a point apprivoisé, dit-il, les poulains dès leur tendre jeunesse, il arrive souvent que l'approche et l'attouchement de l'homme leur causent tant de frayeur, qu'ils s'en défendent à coups de dents et de pieds, de façon qu'il est presque impossible de les panser et de les ferrer; si la patience et la douceur ne suffisent pas, il faut, pour les apprivoiser, se servir du moyen qu'on emploie en fauconnerie pour priver un oiseau qu'on vient de prendre et qu'on veut dresser au vol, c'est de l'empêcher de dormir jusqu'à ce qu'il tombe de faiblesse; il faut en user de même à l'égard d'un cheval farouche, et pour cela il faut le tourner à sa place le derrière à la mangeoire, et avoir un homme toute la nuit et tout le jour à sa tête, qui lui doune de temps en temps une poignée de foin et l'empêche de se coucher, on verra avec étonnement comme il sera subitement adouci; il y a cependant des chevaux qu'il faut veiller ainsi pendant huit jours. » 

    Voyez le nouveau parfait Maréchal, page 89.
     

    Cela prouve que ces animaux sont naturellement doux et très-disposés à se familiariser avec l'homme et à s'attacher à lui; aussi n' arrive-t-il jamais qu'aucun d'eux quitte nos maisons pour se retirer dans les forêts ou dans les déserts; ils marquent au contraire beaucoup d' empressement pour revenir au gîte, où cependant ils ne trouvent qu'une nourriture grossière, toujours la même et ordinairement mesurée sur l'économie beaucoup plus que sur leur appétit; mais la douceur de l'habitude leur tient lieu de ce qu'ils perdent d'ailleurs; après avoir été excédés de fatigue, le lieu du repos est un lieu de délices, ils le sentent de loin, ils savent le reconnaître au milieu des plus grandes villes, et semblent préférer en tout l'esclavage à la liberté; ils se font même une seconde nature des habitudes auxquelles on les a forcés ou soumis, puisqu'on a vu des chevaux, abandonnés dans les bois, hennir continuellement pour se faire entendre, accourir à la voix des hommes, et en même temps maigrir et dépérir en peu de temps, quoiqu'ils eussent abondamment de quoi varier leur nourriture et satisfaire leur appétit.

    Leurs mœurs viennent donc presque en entier de leur éducation, et que cette éducation suppose des soins et des peines que l'homme ne prend pour aucun autre animal, mais dont il est dédommagé par les services continuels que lui rend celui-ci. 
     

    Les moyens de commander

     
    Le mors et l'éperon sont deux moyens qu'on a imaginés pour les obliger à recevoir le commandement, le mors pour la précision, et l'éperon  pour la promptitude des mouvements. 

    La bouche ne paraissait pas destinée par la nature à recevoir d'autres impressions que celles du goût et de l'appétit; cependant elle est d'une si grande sensibilité dans le cheval, que c'est à la bouche, par préférence à l'œil et à l'oreille, qu'on s'adresse pour transmettre au cheval les signes de la volonté; le moindre mouvement ou la plus petite pression du mors suffit pour avertir et déterminer l'animal, et cet organe de sentiment n'a d'autre défaut que celui de sa perfection même; sa trop grande sensibilité veut être ménagée, car, si on en abuse, on gâte la bouche du cheval en la rendant insensible à l'impression du mors.
     

    L'ouie

    Les sens de l'ouïe ne seraient pas sujets à une telle altération et ne pourraient être émoussés de cette façon, mais apparemment on a trouvé des inconvénients à commander aux chevaux par ces organes, et il est vrai que les signes transmis par le toucher font beaucoup plus d'effet sur les animaux en général, que ceux qui leur sont transmis par l'œil ou par l'oreille;et quoique l'oreille soit un sens par lequel on les anime et on les conduit souvent, il paraît qu'on a restreint et laissé aux chevaux grossiers, l'usage de cet organe, puisqu'au manège, qui est le lieu de la plus parfaite éducation, l'on ne parle presque point aux chevaux, et qu'il ne faut pas même qu'il paraisse qu'on les conduise: en effet, lorsqu'ils sont bien dressés, la moindre pression des cuisses, le plus léger mouvement du mors suffit pour les diriger, l'éperon est même inutile, ou du moins on ne s'en sert que pour les forcer à faire les mouvements violents; et lorsque, par l'ineptie du cavalier, il arrive qu'en donnant de l'éperon il retient la bride, le cheval se trouvant excité d'un côté et retenu de l'autre, ne peut que se cabrer en faisant un bond sans sortir de sa place.

    Les allures 

    On donne à la tête du cheval, par le moyen de la bride, un air avantageux et relevé; on la place comme elle doit être, et le plus petit signe ou le plus petit mouvement du cavalier suffit pour faire prendre au cheval ses différentes allures; la plus naturelle est peut-être le trot; mais le pas et même le galop sont plus doux pour le cavalier, et ce sont aussi les deux allures qu'on s'applique le plus à perfectionner. 

    le pas

    Lorsque le cheval lève la jambe de devant pour marcher, il faut que ce mouvement soit fait avec hardiesse et facilité, et que le genou soit assez plié; la jambe levée doit paraître soutenue un instant, et lorsqu'elle retombe le pied doit être ferme et appuyer également sur la terre, sans que la tête du cheval reçoive aucune impression de ce mouvement; car lorsque la jambe retombe subitement, et que la tête baisse en même temps, c'est ordinairement pour soulager promptement l'autre jambe qui n'est pas assez forte pour supporter seule tout le poids du corps; ce défaut est très-grand aussi bien que celui de porter le pied en dehors ou en dedans, car il retombe dans cette même direction : l'on doit observer aussi que lorsqu'il appuie sur le talon, c'est une marque de faiblesse; et que, quand il pose sur la pince, c'est une attitude fatigante et forcée que le cheval ne peut soutenir longtemps.

    Le pas, qui est la plus lente de toutes les allures, doit cependant être prompt; il faut qu'il ne soit ni trop allongé ni trop accourci, et que la démarche du cheval soit légère: cette légèreté dépend beaucoup de la liberté des épaules, et se reconnaît à la manière dont il porte la tête en marchant; s'il la tient haute et ferme, il est ordinairement vigoureux et léger: lorsque le mouvement des épaules n'est pas assez libre, la jambe ne se lève point assez, et le cheval est sujet à faire des faux pas et à heurter du pied contre les inégalités du terrain; et lorsque les épaules sont encore plus serrées et que le mouvement des jambes en paraît indépendant, le cheval se fatigue, fait des chutes, et n'est capable d'aucun service: le cheval doit être sur la hanche, c'est-à-dire hausser les épaules et baisser les hanches en marchant; il doit aussi soutenir sa jambe et la lever assez haut; mais s'il la soutient trop longtemps, s 'il la laisse retomber trop lentement, il perd tout l'avantage de la légèreté, il devient dur, et n'est bon que pour l'appareil et pour piaffer.
     
     

    Il ne suffit pas que les mouvements du cheval soient légers, il faut encore qu'ils soient égaux et uniformes dans le train du devant et dans celui du derrière, car si la croupe balance tandis que les épaules se soutiennent, le mouvement se fait sentir au cavalier par secousses et lui devient incommode; la même chose arrive lorsque le cheval allonge trop de la jambe de derrière et qu'il la pose au-delà de l'endroit où le pied de devant a porté: les chevaux dont le corps est court sont sujets à ce défaut; ceux dont les jambes se croisent ou s'atteignent n'ont pas la démarche sûre; et en général ceux dont le corps est long sont les plus commodes pour le cavalier, parce qu'il se trouve plus éloigné des deux centres de mouvement, les épaules et les hanches, et qu'il en ressent moins les impressions et les secousses.

    Les quadrupèdes marchent ordinairement en portant à la fois en avant une jambe de devant et une jambe de derrière; lorsque la jambe droite de devant part, la jambe gauche de derrière suit et avance en même temps, et ce pas étant fait, la jambe gauche de devant part à son tour conjointement avec la jambe droite de derrière, et ainsi de suite: comme leur corps porte sur quatre points d'appui qui forment un carré long, la  manière la plus commode de se mouvoir est d'en changer deux à la fois en diagonale, de façon que le centre de gravité du corps de l'animal ne fasse qu'un petit mouvement et reste toujours à peu près dans la direction des deux points d'appui qui ne sont pas en mouvement; dans les trois allures naturelles du cheval, le pas, le trot et le galop, cette règle de mouvement s'observe toujours, mais avec des différences. 

    Dans le pas il y a quatre temps dans le mouvement; si la jambe droite de devant part la première, la jambe gauche de derrière suit un instant après; ensuite la jambe gauche de devant part à son tour pour être suivie un instant après de la jambe droite de derrière; ainsi le pied droit de devant pose à terre le premier, le pied gauche de derrière pose à terre le second, le pied gauche de devant pose à terre le troisième, et le pied droit de derrière pose à terre le dernier, ce qui fait un mouvement à quatre temps et à trois intervalles, dont le premier et le dernier sont plus courts que celui du milieu. 
     
     

    Le trot

    Dans le trot il n'y a que deux temps dans le mouvement; si la jambe droite de devant part, la jambe gauche de derrière part aussi en même temps, et sans qu'il y ait aucun intervalle entre le mouvement de l'une et le mouvement de l'autre; ensuite la jambe gauche de devant part avec la droite de derrière aussi en même temps, de sorte qu'il n'y a dans ce mouvement du trot que deux temps et un intervalle; le pied droit de devant et le pied gauche de derrière posent à terre en même temps, et ensuite le pied gauche de devant et le droit de derrière posent aussi à terre en même temps. 

    Le galop

    Dans le galop il y a ordinairement trois temps; mais comme dans ce mouvement, qui est une espèce de saut, les parties antérieures du cheval ne se meuvent pas d'abord d'elles mêmes, et qu'elles sont chassées par la force des hanches et des parties postérieures, si des deux jambes de devant la droite doit avancer plus que la gauche, il faut auparavant que le pied gauche de derrière pose à terre pour servir de point d'appui à ce mouvement d'élancement; ainsi c'est le pied gauche de derrière qui fait le premier temps du mouvement et qui pose à terre le premier, ensuite la jambe droite de derrière se lève conjointement avec la gauche de devant et elles retombent à terre en même temps; et enfin la jambe droite de devant, qui s'est levée un instant après la gauche de devant et la droite de derrière, se pose à terre la dernière, ce qui fait le troisième temps; ainsi dans ce mouvement du galop, il y a trois temps et deux intervalles, et dans le premier de ces intervalles, lorsque le mouvement se fait avec vitesse, il y a un instant où les quatre jambes sont en l'air en même temps, et où l'on voit les quatre fers du cheval à la fois: lorsque le cheval a les hanches et les jarrets souples, et qu'il les remue avec vitesse et agilité, ce mouvement du galop est plus parfait, et la cadence s'en fait à quatre temps. 

    Il pose d'abord le pied gauche de derrière qui marque le premier temps; ensuite le pied droit de derrière retombe le premier et marque le second temps; le pied gauche de devant tombant un instant après, marque le troisième temps, et enfin le pied droit de devant qui retombe le dernier marque le quatrième temps.
     

    Les chevaux galopent ordinairement sur le pied droit; de la même manière qu'ils partent de la jambe droite de devant pour marcher et pour trotter, ils entament aussi le chemin en galopant par la jambe droite de devant, qui est plus avancée que la gauche; et de même la jambe droite de derrière, qui suit immédiatement la droite de devant est aussi plus avancée que la gauche de derrière, et cela constamment tant que le galop dure; de là il résulte que la jambe gauche, qui porte tout le poids et qui pousse les autres en avant, est la plus fatiguée; en sorte qu'il serait bon d'exercer les chevaux à galoper alternativement sur le pied gauche aussi bien que sur le droit, ils suffiraient plus long-temps à ce mouvement violent; et c'est aussi ce que l'on fait au manège, mais peut-être par une autre raison, qui est que, comme on les fait souvent changer de main, c'est-à-dire décrire un cercle dont le centre est tantôt à droite, tantôt à gauche, on les oblige aussi à galoper tantôt sur le pied droit, tantôt sur le gauche.

    Comparaison et autres allures

    Dans le pas les jambes du cheval ne se lèvent qu'à une petite hauteur, et les pieds rasent la terre d'assez près, au tot elles s'élèvent d'avantage, et les pieds sont entièrement détachés de terre; dans le galop les jambes s'élèvent encore plus haut, et les pieds semblent bondir sur la terre: le pas, pour être bon, doit être prompt, léger, doux et sûr; le trot doit être ferme, prompt et également soutenu; il faut que le derrière chasse bien le devant; le cheval, dans cette allure, doit porter la tête haute et avoir les reins droits; car si les hanches haussent et baissent alternativement à chaque temps du trot; si la croupe balance et si le cheval se berce, il trotte mal par faiblesse; s'il jette en dehors les jambes de devant, c'est un autre défaut; les jambes de devant doivent être sur la même ligne que celles de derrière, et toujours les effacer. Lorsqu'une des jambes de derrière se lance, si la jambe de devant du même côté reste en place un peu trop long-temps, le mouvement devient plus dur par cette résistance; et c'est pour cela que l'intervalle entre les deux temps du trot doit être court; mais, quelque court qu'il puisse être, cette résistance suffit pour rendre cette allure plus dure que le pas et le galop; parce que dans le pas le mouvement est plus liant, plus doux, et la résistance moins forte, et que dans le galop il n'y a presque point de résistance horizontale, qui est la seule incommode pour le cavalier, la réaction du mouvement des jambes de devant se faisant presque toute de bas en haut dans la direction perpendiculaire.
    Le ressort des jarrets contribue autant au mouvement du galop que celui des reins; tandis que les reins font effort pour élever et pousser en avant les parties antérieures, le pli du jarret fait ressort, rompt le coup et adoucit la secousse; aussi plus ce ressort du jarret est liant et souple, plus le mouvement du galop est doux; il est aussi d'autant plus prompt et plus rapide, que les jarrets sont plus forts; et d'autant plus soutenu, que le cheval porte plus sur les hanches, et que les épaules sont plus soutenues par la force des reins. 

    Au reste, les chevaux qui dans le galop lèvent bien haut les jambes de devant, ne sont pas ceux qui galopent le mieux; ils avancent moins que les autres et se fatiguent davantage, et cela vient ordinairement de ce qu'ils n'ont pas les épaules assez libres.
     

    De l'amble

    Le pas, le trot et le galop sont donc les allures naturelles les plus ordinaires; mais il y a quelques chevaux qui ont naturellement une autre allure qu'on appelle l'amble, qui est très différente des trois autres, et qui du premier coup d' œil paraît contraire aux lois de la mécanique et très fatigante pour l'animal, quoique dans cette allure la vitesse du mouvement ne soit pas si grande que dans le galop ou dans le grand trot: dans cette allure le pied du cheval rase la terre encore de plus près que dans le pas, et chaque démarche est beaucoup plus allongée; mais ce qu'il y a de singulier, c'est que les deux jambes du même côté, par exemple celles de devant et de derrière du côté droit, partent en même temps pour faire un pas, et qu'ensuite les  deux jambes du côté gauche partent aussi en même temps pour en faire un autre, et ainsi de suite; en sorte que les deux côtés du corps manquent alternativement d'appui, et qu'il n'y a point d'équilibre de l'un à l'autre; ce qui ne peut manquer de fatiguer beaucoup le cheval, qui est obligé de se soutenir dans un balancement forcé, par la rapidité d'un mouvement qui n'est presque pas détaché de terre; car s 'il levait les pieds dans cette allure autant qu'il les lève dans le trot ou même dans le bon pas, le balancement serait si grand, qu'il ne pourrait manquer de tomber sur le côté; et ce n'est que parce qu'il rase la terre de très-près, et par des alternatives promptes de mouvement, qu'il se soutient dans cette allure, où la jambe de derrière doit, non seulement partir en même temps que la jambe de devant du même côté, mais encore avancer sur elle et poser un pied ou un pied et demi au-delà de l'endroit où celle-ci a posé: plus cet espace ont la jambe de derrière avance de plus que la jambe de devant est grand, mieux le cheval marche l'amble, et plus le mouvement total est rapide. 
    Il n'y a donc dans l'amble, comme dans le trot, que deux temps dans le mouvement; et toute la différence est que dans le trot les deux jambes qui vont ensemble sont opposées en diagonale; au lieu que dans l'amble ce sont les deux jambes du même côté qui vont ensemble: cette allure, qui est très fatigante pour le cheval, et qu'on ne doit lui laisser prendre que dans les terrains unis, est fort douce pour le cavalier, elle n'a pas la dureté du trot, qui vient de la résistance que fait la jambe de devant lorsque celle de derrière se lève, parce que dans l'amble cette jambe de devant se lève en même temps que celle de derrière du même côté; au lieu que dans le trot cette jambe de devant du même côté demeure en repos et résiste à l'impulsion pendant tout le temps que se meut celle de derrière. 

    Les connaisseurs assurent que les chevaux qui naturellement vont l'amble, ne trottent jamais et qu'ils sont beaucoup plus faibles que les autres; en effet, les poulains prennent assez souvent cette allure, surtout lorsqu'on les force à aller vite, et qu'ils ne sont pas encore assez forts pour trotter ou pour galoper; et l'on observe aussi que la plupart des bons chevaux, qui ont été trop fatigués et qui commencent à s'user, prennent eux-mêmes cette allure lorsqu'on les force à un mouvement plus rapide que celui du pas (1). 

    (1) Voy. l'école de cavalerie de M. de la Guérinière, Paris, 1751, infolio, page 77 .
     

    L'amble peut donc être regardé comme une  allure défectueuse, puisqu'elle n'est pas ordinaire et qu'elle n'est naturelle qu'à un petit nombre de chevaux, que ces chevaux sont presque toujours plus faibles que les autres, et que ceux qui paraissent les plus forts sont ruinés, en moins de temps que ceux qui trottent et galopent: mais il y a encore deux autres allures, l'entrepas et l'aubin, que les chevaux faibles ou excédés prennent d'eux-mêmes, qui sont beaucoup plus défectueuses que l'amble; on a appelé ces mauvaises allures des trains rompus, désunis ou composés: l'entrepas tient du pas et de l'amble, et l'aubin tient du trot et du galop, l'un et l'autre viennent des excès d'une longue fatigue ou d'une grande faiblesse de reins; les chevaux de messagerie qu'on surcharge, commencent à aller l'entrepas au lieu du trot à mesure qu'ils se ruinent; et les chevaux de poste ruinés, qu'on presse de galoper, vont l'aubin au lieu du galop.
     

    de la conformation

    Le cheval est de tous les animaux celui qui, avec une grande taille, a le plus de proportion et d'élégance dans les parties de son corps; car en lui comparant les animaux qui sont immédiatement au-dessus et au-dessous, on verra que l'âne est mal fait, que le lion a la tête trop grosse, que le bœuf a les jambes trop minces et trop courtes pour la grosseur de son corps, que le chameau est difforme, et que les plus gros animaux, le rhinocéros et l'éléphant, ne sont, pour ainsi dire, que des masses informes. 

    Le grand allongement des mâchoires est la principale cause de la différence entre la tête des quadrupèdes et celle de l'homme, c'est aussi le caractère le plus ignoble de tous; cependant, quoique les mâchoires du cheval soient fort allongées, il n'a pas, comme l'âne, un air d'imbécillité, ou de stupidité comme le bœuf; la régularité des proportions de sa tête lui donne au contraire un air de légèreté qui est bien soutenu par la beauté de son encolure. 

    Le cheval semble vouloir se mettre au-dessus de son état de quadrupède en élevant sa tête; dans cette noble attitude il regarde l'homme face à face; ses yeux sont vifs et bien ouverts, ses oreilles sont bien faites et d'une juste grandeur, sans être courtes comme celles du taureau, ou trop longues comme celles de l'âne; sa crinière accompagne bien sa tête, orne son cou, et lui donne un air de force et de fierté; sa queue traînante et touffue couvre et termine avantageusement l'extrémité de son corps: bien différente de la courte queue du cerf, de l'éléphant, etc., et de la queue nue de l'âne, du chameau, du rhinocéros, etc., 

    La queue du cheval est formée par des crins épais et longs qui semblent sortir de la croupe, parce que le tronçon dont ils sortent est fort court: il ne peut relever sa queue comme le lion, mais elle lui sied mieux quoique abaissée; et comme il peut la mouvoir de côté, il s'en sert utilement pour chasser les mouches qui l'incommodent; car quoique sa peau soit très ferme, et qu'elle soit garnie partout d'un poil épais et serré, elle est cependant très sensible.
     

    L'attitude de la tête du cou, contribue plus que celle de toutes les autres parties du corps à donner au cheval un noble maintien.

    La partie supérieure de l'encolure dont sort la crinière, doit s'élever d'abord en ligne droite en sortant du garrot, et former ensuite, en approchant de la tête, une courbe à peu près semblable à celle du cou d'un cygne; 

    La partie inférieure de l'encolure ne doit former aucune courbure.

    Il faut que sa direction soit en ligne droite depuis le poitrail jusqu'à la ganache et un peu penchée en avant; si elle était perpendiculaire l'encolure serait fausse.

    Il faut aussi que la partie supérieure du cou soit mince, et qu'il y ait peu de chair auprès de la crinière, qui doit être médiocrement garnie de crins longs et déliés: une belle encolure doit être longue et relevée, et cependant proportionnée à la taille du cheval; lorsqu'elle est trop longue et trop menue, les chevaux donnent ordinairement des coups de tête; et quand elle est trop courte et trop charnue, ils sont pesants à la main; 

    Pour que la tête soit le plus avantageusement placée, il faut que le front soit perpendiculaire à l'horizon.
     

    La tête doit être sèche et menue sans être trop longue, les oreilles peu distantes, petites, droites, immobiles, étroites, déliées et bien plantées sur le haut de la tête, le front étroit et un peu convexe,les salières remplies, les paupières minces, les yeux clairs, vifs, pleins de feu, assez gros et avancés à fleur de tête, la prunelle grande, la ganache décharnée et peu épaisse, le nez un peu arqué, les naseaux bien ouverts et bien fendus, la cloison du nez mince, les lèvres déliées, la bouche médiocrement fendue, le garrot élevé et tranchant, les épaules sèches, plates et peu serrées, le dos égal, uni, insensiblement arqué sur la longueur, et relevé des deux côtés de l'épine qui doit paraître enfoncée, les flancs pleins et courts, la croupe ronde et bien fournie, la hanche bien garnie, le tronçon de la queue épais et ferme, les bras et les cuisses gros et charnus, le genou rond en devant, le jarret ample et évidé, les canons minces sur le devant et larges sur les côtés, le nerf bien détaché, le boulet menu, le fanon peu garni, le paturon gros et d'une médiocre longueur, la couronne peu élevée, la corne noire, unie et luisante, le sabot haut, les quartiers ronds, les talons larges et médiocrement élevés, la fourchette menue et maigre, et la sole épaisse et concave.
    Mais il y a peu de chevaux dans lesquels on trouve toutes ces perfections rassemblées: les yeux sont sujets à plusieurs défauts qu'il est quelquefois difficile de reconnaître; dans un œil sain on doit voir à travers la cornée deux ou trois taches couleur de suie au-dessus de la prunelle, car pour voir ces taches, il faut que la cornée soit claire, nette et transparente; si elle paraît double ou de mauvaise couleur l'œil n'est pas bon; la prunelle petite, longue et étroite ou environnée d'un cercle blanc, désigne aussi un mauvais œil; et lorsqu'elle a une couleur de bleu verdâtre, l' œil est certainement mauvais et la vue trouble. 

    Je renvoie à l'article des descriptions l'énumération détaillée des défauts du cheval, et je me contenterai d'ajouter encore quelques remarques par lesquelles, comme par les précédentes, on pourra juger de la plupart des perfections ou des imperfections d'un cheval. 

    On juge assez bien du naturel et de l'état actuel de l'animal par le mouvement des oreilles; il doit, lorsqu'il marche, avoir la pointe des oreilles en avant; un cheval fatigué a les oreilles basses; ceux qui sont colères et malins portent alternativement l'une des oreilles en avant et l'autre en arrière; tous portent les oreilles du côté où ils entendent quelque bruit; et lorsqu'on les frappe sur le dos ou sur la croupe, ils tournent les oreilles en arrière.

    Les chevaux qui ont les yeux enfoncés ou un œil plus petit que l'autre, ont ordinairement la vue mauvaise; ceux dont la bouche est sèche ne sont pas d'un aussi bon tempérament que ceux dont la bouche est fraîche et devient écumeuse sous la bride. 
     

    Le cheval de selle doit avoir les épaules plates, mobiles et peu chargées; le cheval de trait au contraire doit les avoir grosses, rondes et charnues. 

    Si cependant les épaules d'un cheval de selle sont trop sèches, et que les os paraissent trop avancer sous la peau, c'est un défaut qui désigne que les épaules ne sont pas libres, et que par conséquent le cheval ne pourra supporter la fatigue. 

    Un autre défaut pour le cheval de selle est d'avoir le poitrail trop avancé et les jambes de devant retirées en arrière, parce qu'alors il est sujet à s'appuyer sur la main en galopant, et même à broncher et à tomber. 

    La longueur des jambes doit être proportionnée à la taille du cheval; lorsque celles de devant son trop longues, il n'est pas assuré sur ses pieds; si elles sont trop courtes, il est pesant à la main

    On a remarqué que les juments sont plus sujettes que les chevaux à être basses du devant, et que les chevaux entiers ont le cou plus gros que les juments et les hongres.

    Boucher un cheval

    Une des choses les plus importantes à connaître c'est l'âge du cheval; les vieux chevaux ont ordinairement les salières creuses; mais cet indice est équivoque, puisque de jeunes chevaux, engendrés de vieux étalons, ont aussi les salières creuses; c'est par les dents qu'on peut avoir une connaissance plus certaine de l'âge; le cheval en a quarante, vingt-quatre mâchelières, quatre canines et douze incisives; les juments n'ont pas de dents canines, ou les ont fort courtes: les mâchelières ne servent point à la connaissance de l'âge, c'est par les dents de devant et ensuite par les canines qu'on en juge. 

    Les douze dents de devant commencent à pousser quinze jours après la naissance du poulain; ces premières dents sont rondes, courtes, peu solides, et tombent en différents temps pour être remplacées par d'autres: 

    à deux ans et demi les quatre de devant du milieu tombent les premières, deux en haut, deux en bas; 

    un an après, il en tombe quatre autres, une de chaque côté des premières qui sont déjà remplacées: 

    à quatre ans et demi environ il en tombe quatre autres, toujours à côté de celles qui sont tombées et remplacées; ces quatre dernières dents de lait sont remplacées par quatre autres, qui ne croissent pas à beaucoup près aussi vite que celles qui ont remplacé les huit premières; et ce sont ces quatre dernières dents, qu'on appelle les coins, et qui remplacent les quatre dernières dents de lait, qui marquent l'âge du cheval; elles sont aisées à reconnaître, puisqu'elles sont les troisièmes tant en haut qu'en bas, à les compter depuis le milieu de l'extrémité de la mâchoire; ces dents sont creuses et ont une marque noire dans leur concavité; 

    à quatre ans et demi ou cinq ans elles ne débordent presque pas au-dessus de la gencive, et le creux est fort sensible; 

    à six ans et demi il commence à se remplir, la marque commence aussi à diminuer et à se rétrécir, 

    et toujours de plus en plus jusqu'à sept ans et demi ou huit ans, que le creux est tout à fait rempli et la marque noire effacée; 

    après huit ans, comme ces dents ne donnent plus connaissance de l'âge, oncherche à en juger par les dents canines ou crochets ; ces quatre dents sont à côté de celles dont nous venons de parler: ces dents canines, non plus que les mâchelières, ne sont pas précédées par d'autres dents qui tombent; les deux de la mâchoire inférieure poussent ordinairement les premières à trois ans et demi; et les deux de la mâchoire supérieure à quatre ans; 

    Jusqu'à l'âge de six ans, ces dents sont fort pointues; à dix ans celles d'en haut paraissent déjà émoussées, usées et longues, parce qu'elles sont déchaussées, la gencive se retirant avec l'âge; et plus elles le sont, plus le cheval est âgé: 

    De dix jusqu'à treize ou quatorze ans, il y a peu d'indice de l'âge, mais alors quelques poils des sourcils commencent à devenir blancs; cet indice est cependant aussi équivoque que celui qu'on tire des salières creuses, puisqu'on a remarqué que les chevaux engendrés de vieux étalons et de vieilles juments ont des poils blancs aux sourcils dès l'âge de neuf ou dix ans. 

    Il y a des chevaux dont les dents sont si dures qu'elles ne s'usent point, et sur lesquelles la marque noire subsiste et ne s'efface jamais; mais ces chevaux, qu'on appelle béguts, sont aisés à reconnaître par le creux de la dent qui est absolument rempli, et aussi par la longueur des dents canines (1) : au reste, on a remarqué qu'il y a plus de juments que de chevaux béguts. On peut aussi connaître, quoique moins précisément, l'âge d'un cheval, par les sillons du palais, qui s'effacent à mesure que le cheval vieillit.

    (1) Voyez l'Ecole de cavalerie de M. de la Guérinière, pages 25 et suivantes.
     
     

    L'Elevage

    Dès l'âge de deux ans ou deux ans et demi, le cheval est en état d'engendrer; et les juments, comme toutes les autres femelles, sont encore plus précoces que les mâles; mais ces jeunes chevaux ne produisent que des poulains mal conformés ou mal constitués: il faut que le cheval ait au moins quatre ans ou quatre ans et demi, avant que de lui permettre l'usage de la jument, et encore ne le permettra-t-on de si bonne heure qu'aux chevaux de trait, et aux gros chevaux, qui sont ordinairement formés plus tôt que les chevaux fins; car pour ceux-ci il faut attendre jusqu'à six ans, et même jusqu'à sept pour les beaux étalons d'Espagne; les juments peuvent avoir un an de moins: elles sont ordinairement en chaleur au printemps depuis la fin de mars jusqu'à la fin de juin; mais le temps de la plus forte chaleur ne dure guère que quinze jours ou trois semaines, et il faut être attentif à profiter de ce temps pour leur donner l'étalon; il doit être bien choisi, beau, bien fait, relevé du devant, vigoureux, sain par tout le corps, et surtout de bonne race et de bon pays. 
     
    Pour avoir de beaux chevaux de selle fins et bien faits, il faut prendre des étalons étrangers; les arabes, les turcs, les barbes et les chevaux d'Andalousie sont ceux qu'on doit préférer à tous les autres; et à leur défaut on se servira de beaux chevaux anglais, parce que ces chevaux viennent des premiers, et qu'ils n'ont pas beaucoup dégénéré, la nourriture étant excellente en Angleterre, où l'on a aussi très-grand soin de renouveler les races: les étalons d'Italie, surtout les napolitains, sont aussi fort bons, et ils ont le double avantage de produire des chevaux fins de monture, lorsqu'on leur donne des juments fines, et de beaux chevaux de carrosse avec des juments étoffées et de bonne taille. 

    On prétend qu'en France, en Angleterre, etc., les chevaux arabes et barbes engendrent ordinairement des chevaux plus grands qu'eux, et qu'au contraire les chevaux d'Espagne n'en produisent que de plus petits qu'eux. 

    Pour avoir de beaux chevaux de carrosse, il faut se servir d'étalons napolitains, danois, ou de chevaux de quelques endroits d'Allemagne, et de Hollande, comme du Holstein et de Frise. 

    Les étalons doivent être de belle taille, c'est-à-dire de quatre pieds huit, neuf et dix pouces pour les chevaux de selle, et de cinq pieds au moins pour les chevaux de carrosse: il faut aussi qu'un étalon soit d'un bon poil, comme noir de jais, beau gris, bai, alezan, isabelle doré avec la raie de mulet, les crins et les extrémités noires; tous les poils qui sont d'une couleur lavée et qui paraissent mal teints doivent être bannis des haras, aussi bien que les chevaux qui ont les extrémités blanches. 
     

    Avec un très bel-extérieur, l'étalon doit avoir encore toutes les bonnes qualités intérieures, du courage, de la docilité, de l'ardeur, de l'agilité, de la sensibilité dans la bouche, de la liberté dans les épaules, de la sûreté dans les jambes, de la souplesse dans les hanches, du ressort partout le corps, et surtout dans les jarrets; et même il doit avoir été un peu dressé et exercé au manège.

    Le cheval est de tous les animaux celui qu'on a le plus observé, et on a remarqué qu'il communique, par la génération, presque toutes ses bonnes et mauvaises qualités naturelles et acquises: un cheval naturellement hargneux, ombrageux, rétif, etc., produit des poulains qui ont le même naturel; et comme les défauts de conformation et les vices des humeurs se perpétuent encore plus sûrement que les qualités du naturel, il faut avoir grand soin d'exclure du haras tout cheval difforme, morveux, poussif, lunatique, etc.
     

    Dans ces climats la jument contribue moins que l'étalon à la beauté du poulain, mais elle contribue peut-être plus à son tempérament et à sa taille; ainsi il faut que les juments aient du corps, du ventre, et qu'elles soient bonnes nourrices: 

    Pour avoir de beaux chevaux fins, on préfère les juments espagnoles et italiennes, et pour les chevaux de carrosse, les juments anglaises et normandes; cependant avec de beaux étalons, des juments de tout pays pourront donner de beaux chevaux, pourvu qu'elles soient elles-mêmes bien faites et de bonne race; car si elles ont été engendrées d'un mauvais cheval, les poulains qu'elles produiront seront souvent eux-mêmes de mauvais chevau

    Dans cette espèce d'animaux, comme dans l'espèce humaine, la progéniture ressemble assez souvent aux ascendants paternels ou maternels ; seulement il semble que dans les chevaux la femelle ne contribue pas à la génération tout à fait autant que dans l'espèce humaine; le fils ressemble plus souvent à sa mère que le poulain ne ressemble à la sienne; et lorsque le poulain ressemble à la jument qui l'a produit, c'est ordinairement par les parties antérieures du corps, et par la tête et l'encolure.
     

    Au reste, pour bien juger de la ressemblance des enfants à leurs parents, il ne faudrait pas les comparer dans les premières années, mais attendre l'âge où, tout étant développé, la comparaison en serait plus certaine et plus sensible: indépendamment du développement dans l'accroissement, qui souvent altère ou change en bien les formes, les proportions et la couleur des cheveux, il se fait, dans le temps de la puberté, un développement prompt et subit, qui change ordinairement les traits, la taille, l'attitude des jambes, etc. ; le visage s'allonge, le nez grossit et grandit, la mâchoire s'avance ou se charge, la taille s'élève ou se courbe, les jambes s'allongent et souvent deviennent cagneuses ou effilées; en sorte que la physionomie et le maintien du corps changent   quelquefois si fort, qu'il serait très-possible méconnaître, au moins du premier coup d'oeil après la puberté, une personne qu'on aurait bien connue avant ce temps, et qu'on n'aurait pas vue depuis. 

    Ce n'est donc qu'après cet âge qu'on doit comparer l'enfant à ses parents, si l'on veut juger exactement de la ressemblance; et alors on trouve dans l'espèce humaine que souvent le fils ressemble à son père, et la fille à sa mère; que plus souvent ils ressemblent à l'un et à l'autre à la fois, et qu'ils tiennent quelque chose de tous deux; qu'assez souvent ils ressemblent aux grandspères ou aux grand-mères; que quelquefois ils ressemblent aux oncles ou aux tantes; que presque toujours les enfants du même père et de la même mère se ressemblent plus entre eux qu'ils ne ressemblent à leurs ascendants, et que tous ont quelque chose de commun et un air de famille. 
     

    Dans les chevaux, comme le mâle contribue plus à la génération que la femelle, les juments produisent des poulains qui sont assez souvent semblables en tout à l'étalon, ou qui toujours lui ressemblent plus qu'à la mère; elles en produisent aussi qui ressemblent aux grands-pères; et lorsque la jument mère a été elle-même engendrée d'un mauvais cheval, il arrive assez souvent que, quoiqu'elle ait eu un bel étalon, et qu'elle soit belle elle-même, elle ne produit qu'un poulain qui, quoiqu'en apparence beau et bien fait dans sa première jeunesse, décline toujours en croissant; tandis qu'une jument qui sort d'une bonne race donne des poulains qui, quoique de mauvaise apparence d'abord, embellissent avec l'âge.

    Au reste, ces observations que l'on a faites sur le produit des juments, etqui semblent concourir toutes à prouver que dans les chevaux le mâle influe beaucoup plus que la femelle sur la progéniture, ne me paraissent pas encore suffisantes pour établir ce fait d'une manière indubitable et irrévocable. 

    Il ne serait pas impossible que ces observations subsistassent, et qu'en même temps et en général les juments contribuassent autant que les chevaux au produit de la génération: il ne me paraît pas étonnant que des étalons toujours choisis dans un grand nombre de chevaux, tirés ordinairement de pays chauds, nourris dans l'abondance, entretenus et ménagés avec grand soin, dominent dans la génération sur des juments communes, nées dans un climat froid, et souvent réduites à travailler; et comme dans les observations tirées des haras, il y a toujours plus ou moins de cette supériorité de l'étalon sur la jument, on peut très bien imaginer que ce n'est que par cette raison qu'elles sont vraies et constantes; mais en même temps il pourrait être tout aussi vrai que de très belles juments des pays chauds, auxquelles on donnerait des chevaux communs, influeraient peut-être beaucoup plus qu'eux sur leur progéniture, et qu'en général, dans l'espèce des chevaux comme dans l'espèce humaine, il y eût égalité dans l'influence du mâle et de la femelle sur leur progéniture; cela me paraît naturel et d'autant plus probable, qu'on a remarqué, même dans les haras, qu'il naissait à peu près un nombre égal de poulains et de poulines; ce qui prouve qu'au moins pour le sexe la femelle influe pour sa moitié.

    Mais ne suivons pas plus loin ces considérations, qui nous éloigneraient de notre sujet: 
     

    La détection des chaleurs

    Lorsque l'étalon est choisi et que les juments qu'on veut lui donner sont rassemblées, il faut avoir un autre cheval entier qui ne servira qu'à faire connaître les juments qui seront en chaleur, et qui même contribuera par ses attaques à les y faire entrer; on fait passer toutes les juments l'une après l'autre devant ce cheval entier, qui doit être ardent et hennir fréquemment; il veut les attaquer toutes, celles qui ne sont point en chaleur se défendent, et il n'y a que celles qui y sont qui se laissent approcher; mais au lieu de le laisser approcher tout-à-fait, on le retire et on lui substitue le véritable étalon.

    Cette épreuve est utile pour reconnaître le vrai temps de la chaleur des juments, et surtout de celles qui n'ont pas encore produit; car celles qui viennent de pouliner entrent ordinairement en chaleur neuf jours après leur accouchement, ainsi on peut les mener à l'étalon dès ce jour même et les faire couvrir; ensuite essayer neuf jours après, au moyen de l'épreuve ci-dessus, si elles sont encore en chaleur; et si elles y sont en effet, les faire couvrir une seconde fois, et ainsi de suite une fois tous les neuf jours tant que leur chaleur dure, car lorsqu'elles sont pleines la chaleur diminue et cesse peu de jours après. .

    Mais pour que tout cela puisse se faire aisément, commodément, avec succès et fruit, il faut beaucoup d'attention, de dépense et de précautions; 
     
     

    Les prairies du harras

    Il faut établir le haras dans un bon terrain et dans un lieu convenable et proportionné à la quantité de juments et d'étalons qu'on veut employer; il faut partager ce terrain en plusieurs parties, fermées de palis ou de fossés avec de bonnes haies, mettre les juments pleines et celles qui allaitent leurs poulains dans la partie où le pâturage est le plus gras, séparer celles qui n'ont pas conçu ou qui n'ont pas encore été couvertes, et les mettre avec les jeunes poulines dans un autre parquet où le pâturage soit moins gras, afin qu'elles n'engraissent pas trop, ce qui s'opposerait à la génération; et enfin il faut mettre les jeunes poulains entiers ou hongres dans la partie du terrain la plus sèche et la plus inégale, pour qu'en montant et en descendant les collines ils acquièrent de la liberté dans les jambes et les épaules: ce dernier parquet, où l'on met les poulains mâles, doit être séparé de ceux des juments avec grand soin, de peur que ces jeunes chevaux ne s'échappent et ne s'énervent avec les juments. 

    Si le terrain est assez grand pour qu'on puisse partager en deux parties chacun de ces parquets, pour y mettre alternativement des chevaux et des bœufs l'année suivante, le fond du pâturage durera bien plus longtemps que s'il était continuellement mangé par les chevaux; le bœuf répare le pâturage, et le cheval l'amaigrit: il faut aussi qu'il y ait des mares dans chacun de ces parquets; les eaux dormantes sont meilleures pour les chevaux que les eaux vives, qui leur donnent souvent des tranchées; et s'il y a quelques arbres dans ce terrain il ne faut pas les détruire, les chevaux sont bien aises de trouver cette ombre dans les grandes chaleurs; mais s'il y a des troncs, des chicots ou des trous, il faut arracher, combler, aplanir, pour prévenir tout accident. 

    Ces pâturages serviront à la nourriture de votre haras pendant l'été; et il faudra pendant 1 'hiver mettre les juments à l'écurie et les nourrir avec du foin, aussi-bien que les poulains, qu'on ne mènera pâturer que dans les beaux jours d'hiver. 

    Les étalons doivent être toujours nourris à l'écurie avec plus de paille que de foin, et entretenus dans un exercice modéré jusqu'au temps de la monte, qui dure ordinairement depuis le commencement d'avril jusqu'à la fin de juin; on ne leur fera faire aucun autre exercice pendant ce temps, et on les nourrira largement, mais avec les mêmes nourritures qu'à l'ordinaire.
     

    la monte

    Lorsqu'on mènera l'étalon à la jument, il faudra le panser auparavant, cela ne fera qu' augmenter son ardeur, il faut aussi que la jument soit propre et déferrée des pieds de derrière, car il y en a qui sont chatouilleuses et qui ruent à l'approche de l'étalon; un homme tient la jument par le licou, et deux autres conduisent l'étalon par les longes; lorsqu'il est en situation, on aide à l'accouplement en le dirigeant et en détournant la queue de la jument; car un seul crin qui s' opposerait pourrait le blesser, même dangereusement

    Il arrive quelquefois que dans l'accouplement l'étalon ne consomme pas l'acte de la génération, et qu'il sort de dessus la jument sans lui avoir rien laissé; il faut donc être attentif à observer si dans les derniers moments de la copulation le tronçon de la queue de l'étalon n'a pas un mouvement de balancier près de la croupe; car ce mouvement accompagne toujours l'émission de la liqueur séminale: s'il a consommé, il ne faut pas lui laisser réitérer l'accouplement, il faut au contraire le ramener tout de suite à l'écurie et le laisser jusqu'au surlendemain; car, quoiqu'un bon étalon puisse suffire à couvrir tous les jours une fois pendant les trois mois que dure le temps de la monte, il vaut mieux le ménager davantage et ne lui donner une jument que tous les deux jours, il dépensera moins et produira davantage

    Dans les premiers sept jours on lui donnera donc successivement quatre juments différentes, et le neuvième jour on lui ramènera la première, et ainsi des autres, tant qu'elles seront en chaleur; mais dès qu'il y en aura quelqu'une dont la chaleur sera passée, on lui en substituera une nouvelle, pour la faire couvrir à son tour aussi tous les neuf jours; et comme il y en a plusieurs qui retiennent dès la première, seconde ou troisième fois, on compte qu'un étalon ainsi conduit peut couvrir quinze ou dix-huit juments, et produire dix ou douze poulains dans les trois mois que dure cet exercice. 
     

    Dans ces animaux la quantité de la liqueur séminale est très grande, et dans l'émission ils en répandent fort abondamment: on verra dans les descriptions la grande capacité des réservoirs qui la contiennent, et les inductions qu'on peut tirer de l'étendue et de la forme de ces réservoirs. 

    Dans les juments il se fait aussi une émission, ou plutôt une stillation de la liqueur séminale pendant tout le temps qu'elles sont en amour; car elles jettent au dehors une liqueur gluante et blanchâtre qu'on appelle des chaleurs, et dès qu'elles sont pleines ces émissions cessent: c'est cette liqueur que les Grecs ont appelée l' hippomanès de la jument, et dont ils prétendent qu'on peut faire des filtres, surtout pour rendre un cheval frénétique d'amour: cet hippomanès est bien différent de celui qui se trouve dans les enveloppes du poulain, dont M. Daubenton (1) a le premier connu et si bien décrit la nature, l'origine et la situation : cette liqueur que la jument jette au dehors, est le signe le plus certain de sa chaleur; mais on le reconnaît encore au gonflement de la partie inférieure de la vulve et aux fréquents hennissements de la jument, qui dans ce temps cherche à s'approcher des chevaux: lorsqu'elle a été couverte par l'étalon, il faut simplement la mener au pâturage sans aucune autre précaution. 

    Le premier poulain d'une jument n'est jamais si étoffé que ceux qu'elle produit par la suite; ainsi on observera de lui donner la première fois un étalon plus gros, afin de compenser le défaut de l'accroissement par la grandeur même de la taille; 

    (1) Voy.les Mémoires de l'Académie royale des Sciences, année 1751.
     

    La dégénerescence des lignées pures

    Il faut aussi avoir grande attention à la différence ou à la réciprocité des figures du cheval et de la jument, afin de corriger les défauts de l'un par les perfections de l'autre, et surtout ne jamais faire d'accouplements disproportionnés, comme d'un petit cheval avec une grosse jument, ou d'un grand cheval avec une petite jument, parce que le produit de cet accouplement serait petit ou mal proportionné: pour tâcher d'approcher de la belle nature, il faut aller par nuances; donner, par exemple, à une jument un peu trop épaisse un cheval étoffé, mais fin; à une petite jument un cheval un peu plus haut qu'elle; à une jument qui pèche par l'avant-main un cheval qui ait la tête belle et l'encolure noble, etc.

    On a remarqué que les haras établis dans des terrains secs et légers produisaient des chevaux sobres, légers et vigoureux, avec la jambe nerveuse et la corne dure; tandis que dans les lieux humides et dans les pâturages les plus gras, ils ont presque tous la tête grosse et pesante, le corps épais, les jambes chargées, la corne mauvaise et les pieds plats

    Ces différences viennent de celle du climat et de la nourriture, ce qui peut s'entendre aisément; mais, ce qui est plus difficile à comprendre, et qui est encore plus essentiel que tout ce que nous venons de dire, c'est la nécessité où l'on est de toujours croiser les races, si l'on veut les empêcher de dégénérer.

    Il y a dans la nature un prototype général dans chaque espèce, sur lequel chaque individu est modelé, mais qui semble, en se réalisant, s'altérer ou se perfectionner par les circonstances; en sorte que, relativement à de certaines qualités, il y a une variation bizarre en apparence dans la succession des individus, et en même temps une constance qui paraît admirable dans l'espèce entière.

    Le premier animal, le premier cheval, par exemple, a été le modèle extérieur et le moule intérieur sur lequel tous les chevaux qui sont nés, tous ceux qui existent et tous ceux qui naîtront ont été formés; mais ce modèle, dont nous ne connaissons que les copies, a pu s'altérer ou se perfectionner en communiquant sa forme et se multipliant: l'empreinte originaire subsiste en son entier dans chaque individu; mais, quoiqu'il yen ait des millions, aucun de ces individus n'est cependant semblable en tout à un autre individu, 
    ni par conséquent au modèle dont il porte l'empreinte.
     

    Cette différence, qui prouve combien la nature est éloignée de rien faire d'absolu, et combien elle sait nuancer ses ouvrages, se trouve dans l'espèce humaine, dans celles de tous les animaux, de tous les végétaux, de tous les êtres, en un mot, qui se reproduisent.

    Et ce qu'il y a de singulier, c'est qu'il semble que le modèle du beau et du bon soit dispersé par toute la terre, et que dans chaque climat il n'en réside qu'une portion qui dégénère toujours, à moins qu'on ne la réunisse avec une autre portion prise au loin; en sorte que pour avoir de bon grain, de belles fleurs, etc., il faut en échanger les graines, et ne jamais les semer dans le même terrain qui les a produits; et de même, pour avoir de beaux chevaux, de bons chiens, etc., il faut donner aux femelles du pays des mâles étrangers, et réciproquement aux mâles du pays des femelles étrangères; sans cela les grains, les fleurs, les animaux dégénèrent, ou plutôt prennent une si forte teinture du climat, que la matière domine sur la forme et semble l'abâtardir

    L'empreinte reste, mais défigurée par tous les traits qui ne lui sont pas essentiels; en mêlant au contraire les races, et surtout en les renouvelant toujours par des races étrangères, la forme semble se perfectionner, et la nature se relever et donner tout ce qu'elle peut produire de meilleur.

    Ce n'est point ici le lieu de donner les raisons générales de ces effets, mas nous pouvons indiquer les conjectures qui se présentent au premier coup d'œil: on sait par expérience que des animaux ou des végétaux, transplantés d'un climat lointain, souvent dégénèrent et quelquefois se perfectionnent en peu de temps, c'est-à-dire en un très-petit nombre de générations

    Il est aisé de concevoir que ce qui produit cet effet est la différence du climat et de la nourriture; l'influence de ces deux causes doit à la longue rendre ces animaux exempts ou susceptibles de certaines affections, de certaines maladies; leur tempérament doit changer peu à peu
     
     

    Le développement de la forme, qui dépend en partie de la nourriture et de la qualité des humeurs, doit donc changer aussi dans les générations: ce changement est à la vérité presque insensible à la première génération, parce que les deux animaux, mâle et femelle, que nous supposons être les souches de cette race, ont pris leur consistance et leur forme avant d'avoir été dépaysés, et que le nouveau climat et la nourriture nouvelle peuvent à la vérité changer leur tempérament, mais ne peuvent pas influer assez sur les parties solides et organiques pour en altérer la forme, surtout si l'accroissement de leur corps était pris en entier; par conséquent la première génération ne sera point altérée, la première progéniture de ces animaux ne dégénérera pas, l'empreinte de la forme sera pure, il n'y aura aucun vice de souche au moment de la naissance

    Mais le jeune animal essuiera, dans un âge tendre et faible, les influences du climat; elles lui feront plus d'impression qu'elles n'en ont pu faire sur le père et la mère.

    Celles de la nourriture seront aussi bien plus grandes et pourront agir sur les parties organiques dans le temps de l'accroissement, en altérer un peu la forme originaire, et y produire des germes de défectuosités qui se manifesteront ensuite d'une manière très-sensible dans la seconde génération, où la progéniture a, non seulement ses propres défauts, c'est-à-dire ceux qui lui viennent de son accroissement, mais encore les vices de la seconde souche, qui ne s'en développeront qu'avec plus d'avantage

    Enfin à la troisième génération les vices de la seconde et de la troisième souche, qui proviennent de cette influence du climat et de la nourriture, se trouvant encore combinés avec ceux de l'influence actuelle dans l'accroissement, deviendront si sensibles, que les caractères de la première souche en seront effacés. 

    Ces animaux de race étrangère n'auront plus rien d'étranger, ils ressembleront en tout à ceux du pays: des chevaux d'Espagne ou de Barbarie, dont on conduit ainsi les générations, deviennent en France des chevaux français, souvent dès la seconde génération, et toujours à la troisième
     
     
     

    On est donc obligé de croiser les races au lieu de les conserver; on renouvelle la race à chaque génération, en faisant venir des chevaux barbes ou d'Espagne pour les donner aux juments du pays; et ce qu'il y a de singulier, c'est que ce renouvellement de race, qui ne se fait qu'en partie, et, pour ainsi dire, à moitié, produit cependant de bien meilleurs effets que si le renouvellement était entier: un cheval et une jument d'Espagne ne produiront pas ensemble d'aussi beaux chevaux en France que ceux qui viendront de ce même cheval d'Espagne avec une jument du pays; ce qui se concevra encore aisément, si l'on fait attention à la compensation nécessaire des défauts, qui doit se faire lorsqu'on met ensemble un mâle et une femelle des différents pays.

    Chaque climat, par ses influences et par celles de la nourriture, donne une certaine conformation qui pèche par quelque excès ou par quelque défaut; mais dans un climat chaud il y aura en excès ce qui sera en défaut dans un climat froid, et réciproquement; de manière qu'il doit se faire une compensation du tout lorsqu'on joint ensemble des animaux de ces climats opposés; et comme ce qui a le plus de perfection dans la nature est ce qui a le moins de défauts, et que les formes les plus parfaites sont seulement celles qui ont le moins de difformités, le produit de deux animaux, dont les défauts se compenseraient exactement, serait la production la plus parfaite de cette espèce.
     
     

    Or ils se compensent d'autant mieux, qu'on met ensemble des animaux de pays plus éloignés, ou plutôt de climats plus opposés.

    Le composé qui en résulte est d'autant plus par fait, que les excès ou les défauts de l'habitude du père sont plus opposés aux défauts ou aux excès de l'habitude de la mère.

    Dans le climat tempéré de la France, il faut donc, pour avoir de beaux chevaux, faire venir des étalons de climats plus chauds ou plus froids: les chevaux arabes, si l'on en peut avoir, et les barbes, doivent être préférés, et ensuite les chevaux d'Espagne et du royaume de Naples; et pour les climats froids ceux de Danemarck, et ensuite ceux du Holstein et de Frise: tous ces chevaux produiront en France, avec les juments du pays, de très-bons chevaux, qui seront d'autant meilleurs et d'autant plus beaux que la température du climat sera plus éloignée de celle du climat de la France; en sorte que les arabes seront mieux que les barbes, les barbes mieux que ceux d'Espagne, et de même les chevaux tirés de Danemarck produiront de plus beaux chevaux que ceux de Frise. 

    Au défaut de ces chevaux de climats beaucoup plus froids ou plus chauds, il faudra faire venir des étalons anglais ou allemands, ou même des provinces méridionales de la France dans les provinces septentrionales: on gagnera toujours à donner aux juments des chevaux étrangers, et au contraire on perdra beaucoup à laisser multiplier ensemble dans un haras des chevaux de même race, car ils dégénèrent infailliblement et en très-peu de temps.
     
     

    Dans l'espèce humaine, le climat et la nourriture n'ont pas d'aussi grandes influences que dans les animaux; et la raison en est assez simple; l'homme se défend, mieux que l'animal, de l'intempérie du climat; il se loge, il se vêtit convenablement aux saisons; sa nourriture est aussi beaucoup plus variée, et par conséquent elle n'influe pas de la même façon sur tous les individus. 
     

    Les défauts ou les excès qui viennent de ces deux causes, et qui sont si constants et si sensibles dans les animaux, le sont beaucoup moins dans les hommes; d'ailleurs, comme il y a eu de fréquentes migrations de peuples, que les nations se sont mêlées, et que beaucoup d'hommes voyagent et se répandent de tous côtés, il n'est pas étonnant que les races humaines paraissent être moins sujettes au climat, et qu'il se trouve des hommes forts, bien faits, et même spirituels dans tous les pays. 

    Cependant on peut croire que par une expérience dont on a perdu toute mémoire, les hommes ont autrefois connu le mal qui résultait des alliances du même sang, puisque chez les nations les moins policées, il a rarement été permis au frère d'épouser sa sœur: cet usage, qui est pour nous de droit divin, et qu'on ne rapporte chez les autres peuples qu'à des vues politiques, a peut-être été fondé sur l'observation; la politique ne s'étend pas d'une manière si générale et si absolue, à moins qu'elle ne tienne au physique; mais si les hommes ont une fois connu par expérience que leur race dégénérait toutes les fois qu'ils ont voulu la conserver sans mélange dans une même famille, ils auront regardé comme une loi de la nature celle de l'alliance avec des familles étrangères, et se seront tous accordés à ne pas souffrir de mélange entre leurs enfants.

    Et en effet, l'analogie peut faire présumer que dans la plupart des climats les hommes dégénéreraient, comme les animaux, après un certain nombre de générations.
     
     

    Des robes

    Une autre influence du climat et de la nourriture est la variété des couleurs dans la robe des animaux; ceux qui sont sauvages et qui vivent dans le même climat, sont d'une même couleur, qui devient seulement un peu plus claire ou plus foncée dans les différentes saisons de l'année; ceux au contraire qui vivent sous des climats différents, sont de couleurs différentes, et les animaux domestiques varient prodigieusement par les couleurs; en sorte qu'il y a des chevaux, des chiens, etc., de toute sorte de poils; au lieu que les cerfs, les lièvres, etc., sont tous de la même couleur; les injures du climat toujours les mêmes, la nourriture toujours la même, produisent dans les animaux sauvages cette uniformité; le soin de l'homme, la douceur de l'abri, la variété dans la nourriture, effacent et font varier cette couleur dans les animaux domestiques, aussi-bien que le mélange des races étrangères, lorsqu'on n'a pas soin d'assortir la couleur du mâle avec celle de la femelle, ce qui produit quelquefois de belles singularités, comme on le voit sur les chevaux pies, où le blanc et le noir sont appliqués d'une manière si bizarre, et tranchent l'un sur l'autre si singulièrement, qu'il semble que ce ne soit pas l'ouvrage de la nature, mais l'effet du caprice d'un peintre.
     

    L'élevage

    Dans l'accouplement des chevaux on assortira donc le poil et la taille, on contrastera les figures, on croisera les races en opposant les climats, et on ne joindra jamais ensemble les chevaux et les juments nés dans le même haras; toutes ces conditions sont essentielles; et il y a encore quelques autres attentions qu'il ne faut pas négliger; par exemple, il ne faut point dans un haras de juments à queue courte, parce que ne pouvant se défendre des mouches, elles en sont beaucoup plus tourmentées que celles qui ont tous leurs crins; et l'agitation continuelle que leur cause la piqûre de ces insectes, fait diminuer la quantité de leur lait, ce qui influe beaucoup sur le tempérament et la taille du poulain qui, toutes choses égales d'ailleurs, sera d'autant plus vigoureux que sa mère sera meilleure nourrice. 

    Il faut tâcher de n'avoir pour son haras que des juments qui aient toujours pâturé et qui n'aient point fatigué; les juments qui ont toujours été à l'écurie nourries au sec, et qu'on met ensuite au pâturage, ne produisent pas d'abord; il leur faut du temps pour s'accoutumer à cette nouvelle nourriture. 

    Quoique la saison ordinaire de la chaleur des juments soit depuis le commencement d'avril jusqu'à la fin de juin, il arrive assez souvent que, dans un grand nombre, il y en a quelques-unes qui sont en chaleur avant ce temps: on fera bien de laisser passer cette chaleur sans les faire couvrir, parce que le poulain naîtrait en hiver, souffrirait de l'intempérie de la saison, et ne pourrait sucer qu'un mauvais lait; et de même lorsqu'une jument ne vient en chaleur qu'après le mois de juin, on ne devrait pas la laisser couvrir, parce que le poulain naissant alors en été, n'a pas le temps d'acquérir assez de force pour résister aux injures de l'hiver suivant.

    Beaucoup de gens, au lieu de conduire l'étalon à la jument pour la faire couvrir, le lâchent dans le parquet où les juments sont rassemblées, et l'y laissent en liberté choisir lui-même celles qui ont besoin de lui, et les satisfaire à son gré; cette manière est bonne pour les juments; elles produiront même plus sûrement que de l'autre façon; mais l'étalon se ruine plus en six semaines qu'il ne ferait en plusieurs années par un exercice modéré et conduit comme nous l'avons dit. 

    Lorsque les juments sont pleines et que leur ventre commence à s'appesantir, il faut les séparer des autres qui ne le sont point, et qui pourraient les blesser; elles portent ordinairement onze mois et quelques jours; elles accouchent debout, au lieu que presque tous les autres quadrupèdes se couchent: on aide celles dont l'accouchement est difficile, on y met la main, et remet le poulain en situation, et quelquefois même, lorsqu'il est mort, on le tire avec des cordes. 

    Le poulain se présente ordinairement lu tête la première, comme dans toutes les autres espèces d'animaux; il rompt ses enveloppes en sortant de la matrice, et les eaux abondantes qu'elles contiennent s'écoulent; il tombe en même temps un ou plusieurs morceaux solides formés par le sédiment de la liqueur épaissie de l'allantoïde (1) ; ce morceau, que les anciens ont appelé l'hippomanès du poulain, n'est pas, comme ils le disent, un morceau de chair attaché à la tête du poulain, il en est au contraire séparé par la membrane amnios; la jument lèche le poulain après sa naissance, mais elle ne touche pas à l'hippomanès; et les anciens se sont encore trompés lorsqu'ils ont assuré qu'elle le dévorait à l'instant. 

    (1) Voyez ci-après la description des enveloppes de l'hippomanès du poulain.
     


     
    L'usage ordinaire est de faire couvrir une jument neuf jours après qu'elle a pouliné; c'est pour ne point perdre de temps, et pour tirer de son haras tout le produit que l'on peut en attendre; 

    Cependant il est sûr que la jument, ayant ensemble à nourrir son poulain né et son poulain à naître, ses forces sont partagées, et qu'elle ne peut leur donner autant que si elle n'avait que l'un ou l'autre à nourrir; il serait donc mieux, pour avoir d'excellents chevaux, de ne laisser couvrir les juments que de deux années l'une; elles dureraient plus long-temps et retiendraient plus sûrement; car dans les haras ordinaires, il s'en faut hien que toutes les juments qui ont été couvertes produisent tous les ans; c'est heaucoup lorsque, dans la même année, il s'en trouve la moitié ou les deux tiers qui donnent des poulains.

    Les juments, quoique pleines, peuvent souffrir l'accouplement, et cependant il n'y a jamais de superfétation; elles produisent ordinairement jusqu'à l'âge de quatorze ou quinze ans; et les plus vigoureuses ne produisent guère au-delà de dix-huit ans: les chevaux, lorsqu'ils ont été ménagés, peuvent engendrer jusqu'à l'âge de vingt et même au-delà, et l'on a fait sur ces animaux la même remarque que sur les hommes, c'est que ceux qui ont commencé de honne heure finissent aussi plus tôt; car les gros chevaux, qui sont plus tôt formés que les chevaux fins; et dont on fait des étalons dès l'âge de quatre ans, ne durent pas si long-temps, et sont communément hors d'état d'engendrer avant l'âge de quinze ans (1).
     

    (1) Voyez le Nouveau parfait Maréchal de M. de GarsauIt, page 68 et suivantes.
     

    HISTOIRE NATURELLE DU CHEVAL
     
    La durée de la vie des chevaux est, comme dans toutes les autres espèces d'animaux, proportionnée à la durée du temps de leur accroissement;
    l'homme, qui est quatorze ans à croître, peut vivre six ou sept fois autant de temps, c'est-à-dire quatre-vingt-dix ou cent ans; le cheval, dont l'accroissement se fait en quatre ans, peut vivre six ou sept fois autant, c'est-à-dire vingt-cinq ou trente ans: les exemples qui pourraient être contraires à cette règle sont si rares, qu'on ne doit pas même les regarder comme une exception dont on puisse tirer des conséquences; et comme les gros chevaux prennent leur entier accroissement en moins de temps que les chevaux fins, ils vivent aussi moins de temps, et sont vieux dès l'âge de quinze ans.
     

    La vie du poulain et le débourrage

    Aussi pour éviter que les chevaux ne s'épuissent et se gâtent vite et que ayant trop donné ils ne se trouver ruinés pour quelque usage, on aura dès le temps du premier âge soin de séparer les poulains de leur mère, on les laisse téter pendant cinq, six ou tout au plus sept mois; car l'expérience a fait voir que ceux qu'on laisse téter dix ou onze mois, ne valent pas ceux qu'on sèvre plus tôt, quoiqu'ils prennent ordinairement plus de chair et de corps: après ces six ou sept mois de lait on les sèvre pour leur faire prendre une nourriture plus solide que le lait, on leur donne du son deux fois par jour et un peu de foin, dont on augmente la quantité à mesure qu'ils avancent en âge, et on les garde dans l'écurie tant qu'ils marquent de l'inquiétude pour retourner à leur mère.

    Mais lorsque cette inquiétude est passée, on les laisse sortir par le beau temps, et on les conduit aux pâturages, seulement il faut prendre garde de les laisser paître à jeun; il faut leur donner le son et les faire boire une heure avant de les mettre à l'herbe, et ne jamais les exposer au grand froid ou à la pluie; ils passent de cette façon le premier hiver.

    Au mois de mai suivant, non seulement on leur permettra de pâturer tous les jours, mais on les laissera coucher à l'air dans les pâturages pendant tout l'été et jusqu'à la fin d'octobre, en observant seulement de ne leur pas laisser paître les regains; s'ils s'accoutumaient à cette herbe trop fine, ils se dégoûteraient du foin, qui doit cependant faire leur principale nourriture pendant le second hiver avec du son mêlé d'orge ou d'avoine moulus.

    On les conduit de cette façon en les laissant pâturer le jour pendant l'hiver, et la nuit pendant l'été jusqu'à l'âge de quatre ans, qu'on les retire du pâturage pour les nourrir à l'herbe sèche: ce changement de nourriture demande quelques précautions; on ne leur donnera pendant les premiers huit jours que de la paille, et on fera bien de leur faire prendre quelques breuvages contre les vers, que les mauvaises digestions d'une herbe trop crue peuvent avoir produits. 
     

    Les vers de prairies

    M. de Garsault (1), qui recommande cette pratique, est sans doute fondé sur l'expérience; cependant on verra qu'à tout âge et dans tous les temps l'estomac de tous les chevaux est farci d'une si prodigieuse quantité de vers, qu'ils semblent faire partie de leur constitution.

    Nous les avons  trouvés dans les chevaux sains comme dans les chevaux malades, dans ceux qui paissaient l'herbe comme dans ceux qui ne mangeaient que de l'avoine et du foin.

    Les ânes, qui de tous les animaux sont ceux qui approchent le plus de la nature du cheval, ont aussi cette prodigieuse quantité de vers dans l'estomac, et n'en sont pas plus incommodés.

    Aussi l'on ne doit pas regarder les vers, du moins ceux dont nous parlons, comme une maladie accidentelle, causée par les mauvaises digestions d'une herbe crue, mais plutôt comme un effet dépendant de la nourriture et de la digestion ordinaire de ces animaux.

    (1) Voyez le nouveau parfait Maréchal, par M. de Garsault, Paris, 1746, p. 84 et 85.
     

    Il faut avoir attention, lorsqu'on sèvre les jeunes poulains, de les mettre dans une écurie propre, qui ne soit pas trop chaude, crainte de les rendre trop délicats et trop sensibles aux impressions de l'air.

    On leur donnera souvent de la litière fraîche, on les tiendra propres en les bouchonnant de temps en temps; mais il ne faudra ni les attacher ni les penser à la main qu'à l'âge de deux ans et demi ou trois ans, ce frottement trop rude leur causerait de la douleur, leur peau est encore trop délicate pour le souffrir, et ils dépériraient au lieu de profiter.

    Il faut aussi avoir soin que le râtelier et la mangeoire ne soient pas trop élevés; la nécessité de lever la tête trop haut pour prendre leur nourriture pourrait leur donner l'habitude de la porter de cette façon, ce qui leur gâterait l'encolure. 

    Lorsqu'ils auront un an ou dix-huit mois, on leur tondra la queue, les crins repousseront et deviendront plus forts et plus touffus. 

    Dès l'âge de deux ans il faut séparer les poulains, mettre les mâles avec les chevaux, et les femelles avec les juments; sans cette précaution les jeunes poulains se fatigueraient autour des poulines, et s'énerveraient sans aucun fruit.
     
     

    A l'âge de trois ans ou de trois ans et demi, on doit commencer à les dresser et à les rendre dociles; on leur mettra d'abord une selle légère et aisée, et on les laissera sellés pendant deux ou trois heures chaque jour; on les accoutumera de même à recevoir un bridon dans la bouche et à se laisser lever les pieds, sur lesquels on frappera quelques coups comme pour les ferrer.

    Si ce sont des chevaux destinés au carrosse ou au trait, on leur mettra un harnais sur le corps et un bridon.

    Dans les commencements, il ne faut point de bride, ni pour les uns ni pour les autres; on les fera trotter ensuite à la longe avec un cavesson sur le nez sur un terrain uni sans être montés, et seulement avec la selle ou le harnais sur le corps.

    Lorsque le cheval de selle tournera facilement  et viendra volontiers auprès de celui qui tient la longe, on le montera et descendra dans la même place et sans le faire marcher, jusqu'à ce qu'il ait quatre ans, parce qu'avant cet âge il n'est pas encore assez fort pour n'être pas, en marchant, surchargé du poids du cavalier.

    A quatre ans on le montera pour le faire marcher au pas ou au trot, et toujours à petites reprises (1).

    Quand le cheval de carrosse sera accoutumé au harnais, on l'attellera avec un autre cheval fait, en lui mettant une bride, et on le conduira avec une longe passée dans la bride, jusqu'à ce qu'il commence à être sage au trait; alors le cocher essaiera de le faire reculer, ayant pour aide un homme devant, qui le poussera en arrière avec douceur, et même lui donnera de petits coups pour l'obliger à reculer: tout cela doit se faire avant que les jeunes chevaux aient changé de nourriture; 

    Car quand une fois ils sont ce qu'on appelle engrainés, c'est-à-dire lorsqu'ils sont au grain et à la paille, comme ils sont plus vigoureux, on a remarqué qu'ils étaient aussi moins dociles, et plus difficiles à dresser (2).

    (1) Voyez les Eléments de cavalerie de M. de la Guérinière, Paris, 1741, tome 1, page 142 et suivantes.
    (2) Voy. le nouveau parfait Maréchal, par M. de Garsault, page86.
     


     

    La Croissance

    Il paraîtrait au premier coup d' œil que dans les chevaux et la plupart des autres animaux quadrupèdes, l'accroissement des parties postérieures est d'abord plus grand que celui des parties antérieures; tandis que dans 1'homme les parties inférieures croissent moins d'abord que les parties supérieures; car dans l'enfant les cuisses et les jambes sont, à proportion du corps, beaucoup moins grandes que dans l'adulte. 

    Dans le poulain au contraire les jambes de derrière sont assez longues pour qu'il puisse atteindre à sa tête avec le pied de derrière, au lieu que le cheval adulte ne peut plus y atteindre; mais cette différence vient moins de l'inégalité de l'accroissement total des parties antérieures et postérieures, que de l'inégalité des pieds de devant et de ceux de derrière, qui est constante dans toute la nature et plus sensible dans les animaux quadrupèdes; car dans l'homme les pieds sont plus gros que les mains, et sont aussi plus tôt formés. 

    Dans le cheval, dont une grande partie de la jambe de derrière n'est qu'un pied, puisqu'elle n'est composée que des os relatifs au tarse, au métatarse, etc., il n'est pas étonnant que ce pied soit plus étendu et plus tôt développé que la jambe de devant, dont toute la partie inférieure représente la main, puisqu'elle n'est composée que des os du carpe, du métacarpe, etc. 

    Lorsqu'un poulain vient de naître on remarque aisément cette différence; les jambes de devant comparées à celles de derrière paraissent, et sont en effet, beaucoup plus courtes alors qu'elles ne le seront dans la suite; et d'ailleurs l'épaisseur que le corps acquiert, quoique indépendante des proportions de l'accroissement en longueur, met cependant plus de distance entre les pieds de derrière et la tête, et contribue par conséquent à empêcher le cheval d'y atteindre lorsqu'il a pris son accroissement.
     
     

    Des différentes races de chevaux

    Dans tous les animaux chaque espèce est variée suivant les différents climats, et les résultats généraux de ces variétés forment et constituent les différentes races, dont nous ne pouvons saisir que celles qui sont le plus marquées, c'est-à-dire celles qui diffèrent sensiblement les unes des autres, en négligeant toutes les nuances intermédiaires qui sont ici, comme en tout, infinies. 

    Nous en avons même encore augmenté le nombre et la confusion en favorisant le mélange de ces races; et nous avons, pour ainsi dire, brusqué la nature en amenant en ces climats des chevaux d'Afrique ou d'Asie. 

    Nous avons rendu méconnaissables les races primitives de France en y introduisant des chevaux de tout pays; et il ne nous reste, pour distinguer les chevaux, que quelques légers caractères, produits par l'influence actuelle du climat. 

    Ces caractères seraient bien plus marqués et les différences seraient bien plus sensibles, si les races de chaque climat s'y fussent conservées sans mélange; les petites variétés auraient été moins nuancées, moins nombreuses, mais il y aurait eu un certain nombre de grandes variétés bien caractérisées, que tout le monde aurait aisément distinguées; au lieu qu'il faut de l'habitude, et même une assez longue expérience, pour connaître les chevaux des différents pays.

    Nous n'avons sur cela que les lumières que nous avons pu tirer des livres des voyageurs, des ouvrages des plus habiles écuyers, tels que MM. de Newcastle, de Garsault, de la Guérinière, etc., et de quelques remarques que M. de Pignerolles, écuyer du roi, et chef de l'académie d'Angers, a eu la bonté de nous communiquer.
     

    Les chevaux en France


    Il y a en France des chevaux de toute espèce, mais les beaux sont en petit nombre; les meilleurs chevaux de selle viennent du Limosin, ils ressemblent assez aux barbes, et sont comme eux excellents pour la chasse; mais ils sont tardifs dans leur accroissement; il faut les ménager dans leur jeunesse, et même ne s'en servir qu'à l'âge de huit ans: il y a aussi de très-bons bidets en Auvergne, en Poitou, dans le Morvant en Bourgogne; mais après le Limosin, c'est la Normandie qui fournit les plus beaux chevaux; ils ne sont pas si bons pour la chasse, mais ils sont meilleurs pour la guerre; ils sont plus étoffés et plus tôt formés. On tire de la Basse-Normandie et du Cotentin de très-beaux chevaux de carrosse, qui ont plus de légèreté et de ressource que les chevaux de Hollande; la Franche-Comté et le Boulonnais fournissent de très-bons chevaux de tirage: en général les chevaux français pèchent par avoir de trop grosses épaules, au lieu que les barbes pèchent par les avoir trop serrées.
     

     

    Les chevaux d'Espagne

    Les chevaux d'Espagne, qui tiennent le second rang après les barbes, ont l'encolure longue, épaisse, et beaucoup de crins, la tête un peu grosse, et quelquefois moutonnée, les oreilles longues, mais bien placées, les yeux pleins de feu, l'air noble et fier, les épaules épaisses et le poitrail large, les reins assez souvent un peu bas, la côte ronde, et souvent un peu trop de ventre, la croupe ordinairement ronde et large, quoique quelques-uns l'aient un peu longue, les jambes belles et sans poil, le nerf bien détaché, le paturon quelquefois un peu long, comme les barbes, le pied un peu allongé, comme celui d'un mulet, et souvent le talon trop haut: les chevaux d'Espagne de belle race sont épais, bien étoffés, bas de terre; ils ont aussi beaucoup de mouvement dans leur démarche, beaucoup de souples se, de feu et de fierté; leur poil le plus ordinaire est noir ou bai-marron, quoiqu'il y en ait quelques-uns de toutes sortes de poils; ils ont très-rarement des jambes blanches et des nez blancs.

    Les Espagnols, qui ont de l'aversion pour ces marques, ne tirent point race des chevaux qui les ont; ils ne veulent qu'une étoile au front; ils estiment même les chevaux zains autant que nous les méprisons: l'un et l'autre de ces préjugés, quoique contraires, sont peut-être tout aussi mal fondés, puisqu'il se trouve de très-bons chevaux avec toutes sortes de marques, et de même d'excellents chevaux qui sont zains.

    Cette petite différence dans la robe d'un cheval ne semble en aucune façon dépendre de son naturel ou de sa constitution intérieure, puisqu'elle dépend en effet d'une qualité extérieure, et si superficielle, que par une légère blessure dans la peau on produit une tache blanche.

    Au reste, les chevaux d'Espagne, zains ou autres, sont tous marqués à la cuisse hors le montoir, de la marque du haras dont ils sont sortis; ils ne sont pas communément de grande taille, cependant on en trouve quelques-uns de quatre pieds neuf ou dix pouces; ceux de la haute Andalousie passent pour être les meilleurs de tous, quoiqu'ils soient assez sujets à avoir la tête trop longue; mais on leur fait grâce de ce défaut en faveur de leurs rares qualités; ils ont du courage, de l'obéissance, de la grâce, de la fierté, et plus de souplesse que les barbes; c'est par tous ces avantages qu'on les préfère à tous les autres chevaux du monde, pour la guerre, pour la pompe et pour le manège.
     
     

     

    Les chevaux Anglais


    Les plus beaux chevaux anglais sont, pour la conformation, assez semblables aux arabes et aux barbes, dont ils sortent en effet; ils ont cependant la tête plus grande, mais bien faite et moutonnée, et les oreilles plus longues, mais bien placées: par les oreilles seules on pourrait distinguer un cheval anglais d'un cheval barbe, mais la grande différence est dans la taille, les anglais sont bien étoffés et beaucoup plus grands; on en trouve communément de quatre pieds dix pouces et même de cinq pieds de hauteur, il y en a de tous poils et de toutes marques; ils sont généralement forts, vigoureux, hardis, capables d'une grande fatigue, excellents pour la chasse et la course, mais il leur manque la grâce et la souplesse, ils sont durs et ont peu de liberté dans les épaules.

    On parle souvent de courses de chevaux en Angleterre, et il y a des gens extrêmement habiles dans cette espèce d'art gymnastique. Pour en donner une idée, je ne puis mieux faire que de rapporter ce qu'un homme respectable (1), que j'ai déjà eu occasion de citer dans le premier volume de cet ouvrage, m'a écrit de Londres le 18 février 1748. M. Thornhill, maître de poste à Stilton, fit gageure de courir à cheval trois fois de suite le chemin de Stilton à Londres, c'est-à-dire de faire deux cent quinze milles d'Angleterre (environ soixante-douze lieues de France) en quinze heures. Le 29 avril 1745,  il se mit en course, partit de Stilton, fit la première course jusqu'à Londres en trois heures cinquante-une minutes, et monta huit différents chevaux dans cette course.

    Il repartit sur-le-champ et fit la seconde course, de Londres à Stilton, en trois heures cinquante-deux minutes, et ne monta que six chevaux; il se servit pour la troisième course des mêmes chevaux qui lui avaient déjà servi, dans les quatorze il en monta sept, et il acheva cette dernière course en trois heures quaranteneuf minutes; en sorte que, non seulement il remplit la gageure, qui était de faire ce chemin en quinze heures, mais il le fit en onze heures trentedeux minutes: je doute que dans les jeux Olympiques il se soit jamais fait une course aussi rapide que cette course de M. Thornhill.

    (1) Mylord comte de Morton
     

     
     
     
     

    Les chevaux d'Italie

    Les chevaux d'Italie étaient autrefois plus beaux qu'ils ne le sont aujourd'hui, parce que depuis un certain temps on y a négligé les haras; cependant il se trouve encore de beaux chevaux napolitains, surtout pour les attelages; mais en général ils ont la tête grosse et l'encolure épaisse; ils sont indociles, et par conséquent difficiles à dresser: ces défauts sont compensés par la richesse de leur taille, par leur fierté et par la beauté dé leurs mouvements; ils sont excellents pour l'appareil, et ont beaucoup de disposition à piaffer.
     

    Les chevaux Danois

    Les chevaux danois sont de si belle taille étoffés, qu'on les préfère à tous les autres po en faire des attelages; il y en a de parfaiteme bien moulés, mais en petit nombre, car le plus souvent ces chevaux n'ont pas une conformation fort régulière.

    La plupart ont l'encolure épaisse, les épaules grosses, les reins un peu longs et bas, la croupe trop étroite pour l'épaisseur du devant; mais ils ont tous de beaux mouvements, et en général ils sont très-bons pour la guerre et pour l'appareil.

    Ils sont de tous poils; et même les poils singuliers, comme pie et tigre, ne se trouvent guère que dans les chevaux danois.
     
     

    Les chevaux d'Allemagne

    Il y a en Allemagne de fort beaux chevaux; mais en général ils sont pesants et ont peu d'haleine, quoiqu'ils viennent pour la plupart de chevaux turcs et barbes dont on entretient les haras, aussi-bien que de chevaux d'Espagne et d'Italie; ils sont donc peu propres à la chasse et à la course de vitesse, au lieu que les chevaux hongrois, transilvains, etc., sont au contraire légers et bons coureurs: les Housards et les Hongrois leur fendent les naseaux, dans la vue, dit-on, de leur donner plus d'haleine, et aussi pour les empêcher de hennir à la guerre; on prétend que les chevaux auxquels on a fendu les naseaux ne peuvent plus hennir: je n'ai pas été à portée de vérifier ce fait, mais il me semble qu'ils doivent seulement hennir plus faiblement: on a remarqué que les chevaux hongrois, cravates et polonais sont forts sujets à être béguts.
     

    Les chevaux de Hollande


    Les chevaux de Hollande sont fort bons pour le carrosse, et ce sont ceux dont on se sert le plus communément en France; les meilleurs viennent de la province de Frise; il Y en a aussi de fort bons dans le pays de Bergues et de Juliers. Les chevaux flamands sont fort au-dessous des chevaux de Hollande; ils ont presque tous la tête grosse, les pieds plats, les jambes sujettes aux eaux, et ces deux derniers défauts sont essentiels dans des chevaux de carrosse.
     

     

    Les chevaux d'Islande

    Dans les pays même les plus froids, s'ils ne sont point humides, ces animaux se maintiennent mieux que dans les climats très chauds. Tout le monde connaît la beauté des chevaux danois, et la bonté de ceux de Suède, de Pologne, etc. En Islande, où le froid est excessif, et où souvent on ne les nourrit que de poissons desséchés, ils sont très-vigoureux, quoique petits (1) ; il y en a même de si petits qu'ils ne peuvent servir de monture qu'à des enfants (2). 

    Au reste ils sont si communs dans cette île, que les bergers gardent leurs troupeaux à cheval; leur nombre n'est point à charge, car ils ne coûtent rien à nourrir. 

    On mène ceux dont on n'a pas besoin dans les montagnes, où on les laisse plus ou moins de temps après les avoir marqués; et lorsqu'on veut les reprendre, on les fait chasser pour les rassembler en une troupe, et on leur tend des cordes pour les saisir, parce qu'ils sont devenus sauvages. 

    Si quelques juments donnent des poulains dans ces montagnes, les propriétaires les marquent comme les autres et les laissent là trois ans. 

    Ces chevaux de montagne deviennent communément plus beaux, plus fiers et plus gras que tous ceux qui sont élevés dans les écuries (3).
     

    (1) Recueil des voyages du Nord. Rouen, 1716, tome l, page 18.
    (2) Description de l'Islande, etc., par Jean Anderson, page 79.
    (3) Histoire générale des Voyages, tome XVIII, page 19.
     

    Les chevaux de Nordlande

    Ceux de Norwège ne sont guère plus grands, mais bien proportionnés dans leur petite taille; ils sont jaunes pour la plupart, et ont une raie noire qui leur règne tout le long du dos; quelques-uns sont châtains, et il y en a aussi d'une couleur de gris-de-fer. 

    Ces chevaux ont le pied extrêmement sûr, ils marchent avec précaution dans les sentiers des montagnes escarpées, et se laissent glisser en mettant sous le ventre les pieds de derrière lorsqu'ils descendent un terrain roide et uni. Ils se défendent contre l'ours; et lorsqu'un étalon aperçoit cet animal vorace, et qu'il se trouve avec des poulains ou des juments, il les fait rester derrière lui, va ensuite attaquer l'ennemi, qu'il frappe avec ses pieds de devant, et ordinairement il le fait périr sous ses coups. 

    Mais si le cheval veut se défendre par des ruades, c'est-à-dire avec les pieds de derrière, il est perdu sans ressource, car l'ours lui saute d'abord sur le dos et le serre si fortement, qu'il vient à bout de l'étouffer et de le dévorer (1).

    Les chevaux de Nordlande ont tout au plus quatre pieds et demi de hauteur. A mesure qu'on avance vers le nord les chevaux deviennent petits et faibles. 

    Ceux de la Nordlande occidentale sont d'une forme singulière; ils ont la tête grosse, de gros yeux, de petites oreilles, le cou fort court, le poitrail large, le jarret étroit, le corps un peu long, mais gros, les reins courts entre queue et ventre, la partie supérieure de la jambe longue, l'inférieure courte, le bas de la jambe sans poil, la corne petite et dure, la queue grosse, les crins fournis, les pieds petits, sûrs et jamais serrés; ils sont bons, rarement rétifs et fantasques, grimpant sur toutes les montagnes. 

    Les pâturages sont - si bons en Nordlande, que lorsqu'on amène de ces chevaux à Stockholm, ils y passent rarement une année sans dépérir ou maigrir et perdre leur vigueur. 

    Au contraire, les chevaux qu'on amène en Nordlande, des pays plus septentrionaux, quoique malades dans la première année, y reprennent leurs forces (2).
     
     

    (1) Essai d'une histoire naturelle de la Nowège, par Pontoppidam. Journal étranger, mois de juin 1756.
    (2) Histoire générale des voyages, tome XIX, page 561.
     
     

     

    Les Chevaux du Japon et de Chine

    L'excès du chaud et du froid semble être également contraire à la grandeur de ces animaux; au Japon, les chevaux sont généralement petits,  cependant il s'en trouve d'assez bonne taille, et ce sont probablement ceux qui viennent des pays de montagnes, et il en est à peu près de même à la Chine. 

    Cependant on assure que ceux du Tonquin sont d'une taille belle et nerveuse, qu'ils sont bons à la main, et de si bonne nature, qu'on peut les dresser aisément, et les rendre propres à toutes sortes de marches (1).

    Ce qu'il y a de certain, c'est que les chevaux qui sont originaires des pays secs et chauds dégénèrent, et même ne peuvent vivre dans les climats et les terrains trop humides, quelque chauds qu'ils soient; au lieu qu'ils sont très-bons dans tous les pays de montagnes, depuis le climat de l'Arabie jusqu'en Danemarck et en Tartarie, dans notre continent, et depuis la Nouvelle-Espagne jusqu'aux terres Magellaniques dans le nouveau continent; ce n'est donc ni le chaud ni le froid, mais l'humidité seule qui leur est contraire.

    (1) Histoire de Tonquin, par le P. de Rhodes, jésuite, p. 5 r et suiv.
     
     

     

    Le nouveau Monde

    On sait que l'espèce du cheval n'existait pas dans ce nouveau continent, lorsqu'on en a fait la découverte; et l'on peut s'étonner avec raison de leur prompte et prodigieuse multiplication; car en moins de deux cents ans le petit nombre de chevaux qu'on y a transportés d'Europe, s'est si fort multiplié, et particulièrement au Chili, qu'ils y sont à très-bas prix 

    Frezier dit, que cette prodigieuse multiplication est d'autant plus étonnante, que les Indiens mangent beaucoup de chevaux, et qu'ils les ménagent si peu pour le service et le travail, qu'il en meurt un très-grand nombre par excès de fatigue (1). 

    Les chevaux que les Européens ont transportés dans les parties les plus orientales de notre continent, comme aux îles Philippines, y ont aussi prodigieusement multiplié (2).

    (1) Voyage de Frezier dans la mer du Sud, etc., page 67, in-4°. Paris, 1732.
    (2) Voyage de Gemelli Careri, tome V, page 162.
     

     
    A Saint-Domingue, on n'en voit point de la grandeur des chevaux de carrosse, mais ils sont d'une taille moyenne et bien prise. On en prend quantité avec des piéges et des nœuds coulants. La plupart de ces chevaux ainsi pris sont ombrageux (1). On en trouve aussi dans la Virginie, qui, quoique sortis de cavales privées, sont devenus si farouches dans les bois, qu'il est difficile de les aborder, et ils appartiennent à celui qui peut les prendre; ils sont ordinairement si revêches, qu'il est très difficile de les dompter (2). 

    (1) Nouveau Voyage aux îles de l'Amérique, tome V, pages 192 et suiv. Paris, 1722.
    (2) Histoire de la Virginie. Orléans, page 406
     

     

    Les chevaux Arabes et du Levant

    Après l'énumération de ces chevaux qui nous sont le mieux connus, nous rapporterons ce que les voyageurs disent des chevaux étrangers que nous connaissons peu. 
     
     

    Les chevaux barbes


    Les chevaux barbes sont plus communs que les chevaux arabes; ils ont l'encolure longue, fine, peu chargée de crins et bien sortie du garrot, la tête belle, petite et assez ordinairement moutonnée, l'oreille belle et bien placée, les épaules légères et plates, le garrot mince et bien relevé, les reins courts et droits, le flanc et les côtes ronds sans trop de ventre, les hanches bien effacées, la croupe le plus souvent un peu longue et la queue placée un peu haut, la cuisse bien formée et rarement plate, les jambes belles, bien faites et sans poil, le nerf bien détaché, le pied bien fait, mais souvent le paturon long; on en voit de tous poils, mais plus communément de gris: les barbes ont un peu de négligence dans leur allure; ils ont besoin d'être recherchés, et on leur trouve beaucoup de vitesse et de nerf; ils sont fort légers et très-propres à la course: ces chevaux paraissent être les plus propres pour en tirer race; il serait seulement à souhaiter qu'ils fussent de plus grande taille; les plus grands sont de quatre pieds huit pouces, et il est rare d'en trouver qui aient quatre pieds neuf pouces; il est confirmé par expérience qu'en France, en Angleterre, etc., ils engendrent des poulains qui sont plus grands qu'eux: on prétend que parmi les barbes, ceux du royaume de Maroc sont les meilleurs, ensuite les barbes de montagne; ceux du reste de la Mauritanie sont au-dessous, aussi-bien que ceux de Turquie, de Perse, et d'Arménie: tous ces chevaux des pays chauds ont le poil plus ras que les autres.

    Les chevaux turcs ne sont pas si bien proportionnés que les barbes; ils ont pour l'ordinaire l'encolure efilée, le corps long, les jambes trop menues; cependant ils sont grands travailleurs et de longue haleine: on n'en sera pas étonné, si l'on fait attention que dans les pays chauds les os des animaux sont plus durs que dans les climats froids; et c'est par cette raison que, quoiqu'ils aient le canon plus menu que ceux de ce pays-ci, ils ont cependant plus de force dans les jambes.

     

    Les chevaux Arabes et du Levant

    Les chevaux naturels du royaume de Maroc sont beaucoup plus petits que les arabes, mais très-légers et très vigoureux (1). M. Shaw prétend (2) que les haras d'Égypte et de Tingitanie l'emportent aujourd 'hui sur tous ceux des pays voisins; au lieu qu'on trouvait, il y a environ un siècle, d'aussi bons chevaux dans tout le reste de la Barbarie: l'excellence de ces chevaux barbes consiste, dit il, à ne s'abattre jamais, et à se tenir tranquilles lorsque le cavalier descend ou laisse tomber la bride; ils ont un grand pas et un galop rapide,  mais on ne les laisse point trotter ni marcher l'amble: les habitants du pays regardent ces allures du cheval comme des mouvements grossiers et ignobles. 

    Il ajoute que les chevaux d'Égypte sont supérieurs à tous les autres pour la taille et pour la beauté; mais ces chevaux d'Égypte, aussi-bien que la plupart des chevaux de Barbarie, viennent des chevaux arabes qui sont, sans contredit, les premiers et les plus beaux chevaux du monde.
     
    (1) Voyez l'Afrique de Marmol. Paris, 1667, tome II, page 124.
    (2) Voyez les Voyages de M. Shaw, traduits en français. La Haye, 1748, tome I, page 308.
     

     
    Les chevaux arabes sont les plus beaux que l'on connaisse en Europe; ils sont plus grands et plus étoffés que les barbes, et tout aussi bien faits; mais comme il en vient rarement en France, les écuyers n'ont pas d'observations détaillées de leurs perfections et de leurs défauts.  Aussi devons nous reférrer à ce que des voyageurs ont rapporté des contrées lointaines où ils vivent à l'ordinaire.

    Selon Marmol (1), ou plutôt selon Léon l'Africain (2), car Marmol l' a ici copié presque mot à mot, les chevaux arabes viennent des chevaux sauvages des déserts d'Arabie, dont on a fait très-anciennement des haras, qui les ont tant multipliés, que toute l'Asie et l' Afrique en sont pleines; ils sont si légers, que quelques-uns d'entre eux devancent les autruches à la course: les Arabes du désert et les peuples de Libye élèvent une grande quantité de ces chevaux pour la chasse; ils ne s'en servent ni pour voyager ni pour combattre; ils les font pâturer, lorsqu'il y a de l'herbe; et lorsque l'herbe manque, ils ne les nourrissent que de dattes et de lait de chameau, ce qui les rend nerveux, légers et maigres. 

    Ils tendent des pièges aux chevaux sauvages, ils en mangent la chair, et disent que celle des jeunes est fort délicate: ces chevaux sauvages sont plus petits que les autres; ils sont communément de couleur cendrée, quoiqu'il y en ait aussi de blancs, et ils ont le crin et le poil de la queue fort court et hérissé

    (1) Voyez l'Afrique de Marmol, tome l, page 50.
    (2) Vide Leonis Afric. de Africae descript. t. II,750 et 751.
     

     D'autres voyageurs (1) nous ont donné sur les chevaux arabes des relations curieuses, dont nous ne rapporterons ici que les principaux faits.

    Il n'y a point d'Arabe, quelque misérable qu'il soit, qui n'ait des chevaux; ils montent ordinairement les juments; l'expérience leur ayant appris qu'elles résistent mieux que les chevaux à la fatigue, à la faim et à la soif: elles sont aussi moins vicieuses, plus douces, et hennissent moins fréquemment que les chevaux: ils les accoutument si bien à être ensemble, qu'elles demeurent en grand nombre, quelquefois des jours entiers, abandonnées à elles-mêmes, sans se frapper les unes les autres, et sans se faire aucun mal. 

    Les Turcs au contraire n'aiment point les juments, et les Arabes leur vendent les chevaux qu'ils ne veulent pas garder pour étalons; ils conservent avec grand soin, et depuis très-long-temps, les races de leurs chevaux; ils en connaissent les générations, les alliances et toute la généalogie; ils distinguent les races par des noms différents, et ils en font trois classes; la première est celle des chevaux nobles, de race pure et ancienne des deux côtés; la seconde est celle des chevaux de race ancienne, mais qui se sont mésalliées; et la troisième est celle des chevaux communs: ceuxci se vendent à bas prix; mais ceux de la première classe, et même ceux de la seconde, parmi lesquels il s'en trouve d'aussi bons que ceux de la première, sont excessivement chers; ils ne font jamais couvrir les juments de cette première classe noble, que par des étalons de la même qualité; ils connaissent par une longue expérience toutes les races de leurs chevaux et de ceux de leurs voisins; ils en connaissent en particulier le nom, le surnom, le poil, les marques, etc.

    (1) Voyez le Voyage de M. de la Roque, fait par ordre de Louis XIV, Paris, 1714, page 194 et suiv. ; et aussi l'Histoire générale des voyages, Paris, 1746, tome Il, page 626.
     
     

     
     
    Quand ils n'ont pas des étalons nobles, ils en empruntent chez leurs voisins, moyennant quelque argent, pour faire couvrir leurs juments, ce qui se fait en présence de témoins qui en donnent une attestation signée et scellée par-devant le secrétaire de l'Émir, ou quelque autre personne publique; et dans cette attestation, le nom du cheval et de la jument est cité, et toute leur génération exposée; lorsque la jument a pouliné, on appelle encore des témoins, et l'on fait une autre attestation dans laquelle on fait la description du poulain qui vient de naître, et on marque le jour de sa naissance. 

    Ces billets donnent le prix aux chevaux, et on les remet à ceux qui les achètent. 

    Les moindres juments de cette première classe sont  de cinq cents écus, et il y en a beaucoup qui se vendent mille écus, et même quatre, cinq et six mille livres.

    Comme les Arabes n'ont qu'une tente pour maison, cette tente leur sert aussi d'écurie; la jument, le poulain, le mari, la femme, et les enfants couchent tous pêle-mêle les uns avec les autres: on y voit les petits enfants sur le corps, sur le cou de la jument et du poulain, sans que ces animaux les blessent ni les incommodent; on dirait qu'ils n'osent se remuer, de peur de leur faire du mal: ces juments sont si accoutumées à vivre dans cette familiarité, qu'elles souffrent toute sorte de badinage. 

    Les Arabes ne les battent point, ils les traitent doucement, ils parlent et raisonnent avec elles, ils en prennent un très-grand soin, ils les laissent toujours aller au pas, et ne les piquent jamais sans nécessité; mais aussi dès qu'elles se sentent chatouiller le flanc avec le coin de l'étrier, elles partent subitement et vont d'une vitesse incroyable; elles sautent les haies et les fossés aussi légèrement que des biches; et si leur cavalier vient à tomber, elles sont si bien dressées, qu'elles s'arrêtent tout court, même dans le galop le plus rapide. 

    Selon les usages auxquels on destine les chevaux, on les nourrit différemment; ceux de race arabe, dont on veut faire des coureurs pour la chasse, en Arabie et en Barbarie, ne mangent que rarement de l'herbe et du grain. 

    On ne les nourrit ordinairement que de dattes et de lait de chameau qu'on leur donne le soir et le matin; ces aliments, qui les rendent plutôt maigres que gras, les rendent en même temps très-nerveux et fort légers à la course. Ils tettent même les femelles des chameaux, qu'ils suivent, quelque grands qu'ils soient (1), et ce n'est qu'à l'âge de six ou sept ans qu'on commence à les monter.

    (1) Voyage de Marmol, tome l, page 50.

     
    Tous les chevaux des Arabes sont d'une taille médiocre, fort dégagés, et plutôt maigres que gras; ils les pansent soir et matin fort régulièrement et avec tant de soin, qu'ils ne leur laissent pas la moindre crasse sur la peau; ils leur lavent les jambes, le crin et la queue qu'ils laissent toute longue et qu'ils peignent rarement pour ne pas rompre le poil; ils ne leur donnent rien à manger de tout le jour, ils leur donnent seulement à boire deux ou trois fois; et au coucher du soleil, ils leur passent un sac à la tête, dans lequel il y a environ un demi-boisseau d'orge bien net: ces chevaux ne mangent donc que pendant la nuit, et on ne leur ôte le sac que le lendemain matin lorsqu'ils ont tout mangé: on les met au vert au mois de mars, quand l'herbe est assez grande; c'est dans cette même saison que l'on fait couvrir les juments, et on a grand soin de leur jeter de l'eau froide sur la croupe, immédiatement après qu'elles ont été couvertes: lorsque la saison du printemps est passée, on retire les chevaux du pâturage, et on ne leur donne ni herbe ni foin de tout le reste de l'année, ni même de paille que très-rarement, l'orge est leur unique nourriture.

    On ne manque pas de couper aussi les crins aux poulains dès qu'ils ont un an ou dix-huit mois, afin qu'ils deviennent plus touffus et plus longs; on les monte dès l'âge de deux ans ou deux ans et demi tout au plus tard, on ne leur met la selle et la bride qu'à cet âge; et tous les jours, du matin jusqu'au soir, tous les chevaux des Arabes demeurent sellés et bridés à la porte de la tente.

    La race de ces chevaux s'est étendue en Barbarie, chez les Maures, et même chez les Nègres de la rivière de Gambie et du Sénégal; les seigneurs du pays en ont quelques-uns qui sont d'une grande beauté; au lieu d'orge ou d'avoine on leur donne du maïs concassé ou réduit en farine qu'on mêle avec du lait lorsqu'on veut les engraisser, et dans ce climat si chaud on ne les laisse boire que rarement (1). 
     

    (1) Voyez l'Hist. génér. des voyages, tome III, page 297.
     
     

     
     

    Les chevaux de Perse

    D'un autre côté les chevaux arabes ont peuplé l'Égypte, la Turquie, et peut-être la Perse, où il y avait autrefois des haras très-considérables: Marc Paul (1) cite un haras de dix mille juments blanches, et il dit que dans la province de Balascie il y avait une grande quantité de chevaux grands et légers, avec la corne du pied si dure, qu'il était inutile de les ferrer.

    Tous les chevaux du Levant, ont, comme ceux de Perse et d'Arabie, la corne fort dure; on les ferre cependant, mais avec des fers minces, légers, et qu'on peut clouer partout

    En Turquie, en Perse et en Arabie on a aussi les mêmes usages pour les soigner, les nourrir, et leur faire de la litière de leur fumier, qu'on fait auparavant sécher au soleil pour en ôter l'odeur, et ensuite on le réduit en poudre et on en fait une couche, dans l'écurie ou dans la tente, d'environ quatre ou cinq pouces d'épaisseur: cette litière sert fort longtemps, car quand elle est infectée de nouveau, on la relève pour la faire sécher au soleil une seconde fois, et celui lui fait perdre entièrement sa mauvaise odeur.

    (1) Voyez la Description géograph. de l'Inde, par Marc Paul, vénitien. Paris, 1566, tome l, page 41, et liv. l, page 21.
     
     
     

     
     
    En Perse on tient les chevaux à l'air dans la campagne le jour et la nuit, bien couverts néanmoins contre les injures du temps, surtout l'hiver, non seulement d'une couverture de toile , mais d'une autre par-dessus qui est épaisse et tissue de poil, et qui les tient chauds et les défend du serein et de la pluie. 

    On prépare une place assez grande et spacieuse, selon le nombre des chevaux, sur un terrain sec et uni, qu'on balaie et qu'on accommode fort proprement; on les y attache à côté l'un de l'autre à une corde assez longue pour les contenir tous, bien tendue et liée fortement par les deux bouts à deux chevilles de fer enfoncées dans la terre; on leur lâche néanmoins le licou auquel ils sont liés, autant qu'il le faut pour qu'ils aient la liberté de se remuer à leur aise. Mais pour les empêcher de faire aucune violence, on leur attache les deux pieds de derrière à une corde assez longue qui se partage en deux branches, avec des boucles de fer aux extrémités, où l'on place une cheville enfoncée en terre au-devant des chevaux, sans qu'ils soient néanmoins serrés si étroitement qu'ils ne puissent se coucher, se lever et se tenir à leur aise, mais seulement pour les empêcher de faire aucun désordre; et quand on les met dans des écuries, on les attache et on les tient de la même façon. Cette pratique est si ancienne chez les Persans, qu'ils l'observaient dès le temps de Cyrus, au rapport de Xénophon. Ils prétendent, avec assez de fondement, que ces animaux en deviennent plus doux, plus traitables, moins hargneux entre eux; ce qui est utile à la guerre, où les chevaux inquiets incommodent souvent leurs voisins lorsqu'ils sont serrés par escadrons. Pour litière on ne leur donne en Perse que du sable et de la terre en poussière bien sèche, sur laquelle ils reposent et dorment aussi-bien que sur la paille (1). Dans d'autres pays, comme en Arabie et au Mongol, on fait sécher leur fiente que l'on réduit en poudre, et dont on leur fait un lit très-doux (2). 

    (1) Voyage della Valle. Rouen, 1745, in-12, tome V, page 284 jusqu'à 302.
    (2) Voyage de Thévenot, tome III, pag. 129 et suivantes.
     
     
     

     
    Dans toutes ces contrées, on ne les fait jamais manger à terre ni même à un râtelier, mais on leur met de l'orge et de la paille hachée dans un sac qu'on attache à leur tête, car il n'y a point d'avoine, et l'on ne fait guère de foin dans ce climat; on leur donne seulement de l'herbe ou de l'orge en vert au printemps, et en général on a grand soin de ne leur fournir que la quantité de nourriture nécessaire; car lorsqu'on les nourrit trop largement, leurs jambes se gonflent, et bientôt ils ne sont plus de service. 

    Ces chevaux auxquels on ne met point de bride et que l'on monte sans étriers, se laissent conduire fort aisément; ils portent la tête très-haute au moyen d'un simple petit bridon, et courent très-rapidement et d'un pas très-sûr dans les plus mauvais terrains. Pour les faire marcher, on n'emploie point la houssine et fort rarement l'éperon; si quelqu'un en veut user, il n'a qu'une petite pointe cousue au talon de sa botte. 

    Les fouets dont on se sert ordinairement, ne sont faits que de petites bandes de parchemin nouées et cordelées; quelques petits coups de fouet suffisent pour les faire partir et les entretenir dans le plus grand mouvement.

    Les chevaux sont en si grand nombre en Perse, que quoiqu'ils soient très-bons, ils ne sont pas fort chers. Il yen a peu de grosse et grande taille, mais ils ont tous plus de force et de courage que de mine et de beauté. Pour voyager avec moins de fatigue, on se sert de chevaux qui vont  l'amble, et qu'on a précédemment accoutumés à cette allure, en leur attachant par une corde le pied de devant à celui de derrière, du même côté; et dans la jeunesse on leur fend les naseaux, dans l'idées qu'ils en respirent plus aisément; ils sont si bons marcheurs, qu'ils font très-aisément sept à huit lieues de chemin sans s'arrêter (1).

    (1) Voyage della Valle, Rouen, 1745, in-12, tome V, page 284 jusqu'à 302.
     

     

    Les chevaux d'Inde et de Tartarie


    Il y a en Turquie des chevaux arabes, des chevaux tartares, des chevaux hongrois et des chevaux de race du pays; ceux-ci sont beaux et très fins (1), ils ont beaucoup de feu, de vitesse, et même d'agrément; mais ils sont trop délicats, ils ne peuvent supporter la fatigue, ils mangent peu, ils s'échauffent aisément, et ont la peau si sensible, qu'ils ne peuvent supporter le frottement de l'étrille; on se contente de les frotter avec l'époussette et de les laver: ces chevaux, quoique beaux, sont, comme l'on voit, fort au-dessous des arabes; ils sont même au-dessous des chevaux de Perse, qui sont, après les arabes (2), les plus beaux et les meilleurs chevaux de l'Orient; les pâturages des plaines de Médie, de Persépolis, d'Ardebil, de Derbent, sont admirables, et on y élève, par les ordres du gouvernement, une prodigieuse quantité de chevaux, dont la plupart sont très-beaux, et presque tous excellents: Pietro della Valle (3) préfère les chevaux communs de Perse aux chevaux d'Italie, et même,dit-il, aux plus excellents chevaux du royaume de Naples.

    Communément ils sont de taille médiocre (4), il y en a même de fort petits (2), qui n'en sont pas moins bons ni moins forts; mais il s'en trouve aussi beaucoup de bonne taille, et plus grands que les chevaux de selle anglais (5). 
     

    (1) Voy.les Voyages de Tavernier, Rouen, 1713, tome II, p. 19 et 20. 
    (2) Voyez les Voyages de Thévenot, Paris, 1664,tome II, p. 220. 
     de Chardin, Amst., 1711, t. II, p. 25 et suiv. ; d'Adam Olearius, Paris, 1656, t. l, p. 560 et suiv.(3) Voyez les Voyages de Chardin, tome II, p. 25 et suivantes.
    (4) Voyez le Voyage de Dumont. La Haye, 1699, tome III, p. 253 et suivantes.
    (5) Voyez les Voyages de Pietro della Valle. Rouen, 1745, in-12, tome V, p.284 et suivantes.
     
     

        
    Ils ont tous la tête légère, l'encolure fine, le poitrail étroit, les oreilles bien faites et bien placées, les jambes menues, la croupe belle et la corne dure; ils sont dociles, vifs, légers, hardis, courageux et capables de supporter une grande fatigue; ils courent d'une très-grande vitesse, sans jamais s'abattre ni s'affaisser; ils sont robustes et très-aisés à nourrir; on ne leur donne que de l'orge mêlée avec de la paille hachée menu, dans un sac qu'on leur passe à la tête, et on ne les met au vert que pendant six semaines au printemps; on leur laisse la queue longue, on ne sait ce que c'est que de les faire hongres; on leur donne des couvertures pour les défendre des injures de l'air, on les soigne avec une attention particulière, on les conduit avec un simple bridon et sans éperon, et on en transporte une très-grande quantité en Turquie, et surtout aux Indes: ces voyageurs, qui font tous l'éloge des chevaux de Perse, s'accordent cependant à dire que les chevaux arabes sont encore supérieurs pour l'agilité, le courage et la force, et même la beauté; et qu'ils sont beaucoup plus recherchés, en Perse même, que les plus beaux chevaux du pays.

    Les chevaux qui naissent aux Indes ne sont pas bons (1) ; ceux dont se servent les grands du pays y sont transportés de Perse et d'Arabie; on leur donne un peu de foin le jour, et le soir on leur fait cuire des pois avec du sucre et du beurre au lieu d'avoine ou d'orge; cette nourriture les soutient et leur donne un peu de force, sans cela ils dépériraient en très-peu de temps, le climat leur étant contraire. Les chevaux naturels du pays sont en général fort petits, il y en a même de si petits, que Tavernier rapporte que le jeune prince du Mogol, âge de sept ou huit ans, montait ordinairement un petit cheval très-bien fait, dont la taille n'excédait pas celle d'un grand lévrier (2).
    -
    (1) Voyez le Voyage de la Boullaye-le-Gouz, Paris, 1657, page 256; et le recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la Compagnie des Indes, Amst., 1702, tome IV, page 424.
    (2) Voyez les Voyages de Tavernier, tome III, page 334.
     

     
    Il semble que les climats excessivement chauds soient contraires aux chevaux: ceux de la Côted'Or, de celle de Juida, de Guinée, etc., sont, comme ceux des Indes, fort mauvais; ils portent la tête et le cou fort bas; leur marche est si chancelante, qu'on les croit toujours prêts à tomber; ils ne se remueraient pas si on ne les frappait continuellement; et la plupart sont si bas, que les pieds de ceux qui les montent touchent presque à terre (1)

    Ils sont de plus fort indociles, et propres seulement à servir de nourriture aux Nègres, qui en aiment la chair autant que celle des chiens (2) 

    Ce goût pour la chair du cheval est donc commun aux Nègres et aux Arabes; il se retrouve en Tartarie, et même à la Chine (3). 

    Les chevaux chinois ne valent pas mieux que ceux des Indes (4); ils sont faibles, lâches, mal faits, et fort petits; ceux de la Corée n'ont que trois pieds de hauteur: à la Chine presque tous les chevaux sont hongres, et ils sont si timides, qu'on ne peut s'en servir à la guerre; 

    Aussi peut-on dire que ce sont les chevaux tartares qui ont fait la conquête de la Chine: ces chevaux sont très-propres pour la guerre, quoique communément ils ne soient que de taille médiocre; ils sont forts, vigoureux, fiers, ardents, légers et grands coureurs; ils ont la corne du pied fort dure, mais trop étroite, la tête fort légère, mais trop petite, l'encolure longue et roide, les jambes trop hautes; avec tous ces défauts ils peuvent passer pour de très-bons chevaux; ils sont infatigables et courent d'une vitesse extrême. 

    (1) Voyez Histoire générale des voyages, tome IV, page 228.
    (2) Idem, tome IV, page 353.
    (3) Voyez le Voyage de M. le Genty. Paris, 1725, t. II, p. 24.
    (4) Voyez les anciennes relations des Indes et de la Chine, traduites de l'arabe, Paris, 1718, page 204; l'Histoire générale des voyages, tome VI, page 492 et 535; l'Histoire de la conquête de la Chine, par Palafox, Paris, 1670, page 426
     

     
    Les Tartares vivent avec leurs chevaux à peu près comme les Arabes; ils les font monter dès l'âge de sept ou huit mois par de jeunes enfants, qui les promènent et les font courir à petites reprises; ils les dressent ainsi peu à peu, et leur font souffrir de grandes diètes; mais ils ne les montent pour aller en course que quand ils ont six ou sept ans, et ils leur font supporter alors des fatigues incroyables (1), comme de marcher deux ou trois jours sans s'arrêter, d'en passer quatre ou cinq sans autre nourriture qu'une poignée d'herbe de huit heures en huit heures, et d'être en même temps vingt-quatre heures sans boire, etc.

    Ces chevaux, qui paraissent, et qui sont en effet si robustes dans leur pays, dépérissent dès qu'on les transporte à la Chine et aux Indes; mais ils réussissent assez en Perse et en Turquie. Les petits Tartares ont aussi une race de petits chevaux dont ils font tant de cas, qu'ils ne se permettent jamais de les vendre à des étrangers: ces chevaux ont toutes les bonnes et mauvaises qualités de ceux de la grande Tartarie, ce qui prouve combien les mêmes mœurs et la même éducation donnent le même naturel et la même habitude à ces animaux. Il y a aussi en Circassie et en Mingrélie beaucoup de chevaux qui sont même plus beaux que les chevaux tartares;(2)

    Dans la Tartarie, surtout dans les pays entre Urgentz et la mer Caspienne, on se sert, pour chasser les chevaux sauvages, qui y sont communs, d'oiseaux de proie dressés pour cette chasse; on les accoutume à prendre l'animal par la tête et par le cou, tandis qu'il se fatigue sans pouvoir faire lâcher prise à l'oiseau (3). Les chevaux sauvages du pays des Tartares Mongoux et Kakas, ne sont pas différents de ceux qui sont privés; on les trouve en plus grand nombre du côté de l'ouest, quoiqu'il en paraisse aussi quelquefois dans le pays des Kakas qui borde le Harni. Ces chevaux sauvages sont si légers, qu'ils se dérobent aux flèches même des plus habiles chasseurs. Ils marchent en troupes nombreuses; et lorsqu'ils rencontrent des chevaux privés, ils les environnent et les forcent à prendre la fuite (4). 

    (1) (2) Voyez Palafox, page 427; le recueil des voyages du Nord. Rouen, 1716, tome III, page 156; Tavernier, tome l, page 472 et suiv. ; Histoire générale des voyages, tome VI, page 603, et tome VII, page 214. 

    (3) Histoire générale des Voyages, tome VII, page 156.
    (4) Ibidem, tome VI, page 602.
     

     

    Les chevaux du Don

    on trouve encore d'assez beaux chevaux en Ukraine, en Valachie, en Pologne et en Suède, mais nous n'avons pas d'observations particulières de leurs qualités et de leurs défauts.
     

    En Ukraine (3), et chez les Cosaques du Don, les chevaux vivent errants dans les campagnes. Dans le grand espace de terre compris entre le Don et le Niepper, espace très-mal peuplé, les chevaux sont en troupes de trois, quatre ou cinq cents, toujours sans abri, même dans la saison où la terre est couverte de neige; ils détournent cette neige avec le pied de devant pour chercher et manger l'herbe qu'elle recouvre. Deux ou trois hommes à cheval ont le soin de conduire ces troupes de chevaux ou plutôt de les garder, car on les laisse errer dans la campagne, et ce n'est que dans les temps des hivers les plus rudes qu'on cherche à les loger pour quelques jours dans les villages, qui sont fort éloignés les uns des autres dans ce pays.

    Dans l'Ukraine il y a des chevaux qui vont par troupes de cinquante ou soixante; ils ne sont pas capables de service, mais ils sont bons à manger; leur chair est agréable à voir et plus tendre que celle du veau, et le peuple la mange avec du poivre. Les vieux chevaux, n'étant point faits pour être dressés, sont engraissés pour la boucherie, où on les vend chez les Tartares au prix du bœuf et du mouton.

    On a fait sur ces troupes de chevaux abandonnés pour ainsi dire à eux-mêmes, quelques observations qui semblent prouver que les hommes ne sont pas les seuls qui vivent en société, et qui obéissent de concert au commandement de quelqu'un d'entre eux.

    Chacune de ces troupes de chevaux a un cheval-chef qui la commande, qui la guide, qui la tourne et range quand il faut marcher ou s'arrêter; ce chef commande aussi l'ordre et les mouvements nécessaires, lorsque la troupe est attaquée par les voleurs ou par les loups. Ce chef est très-vigilant et toujours alerte; il fait souvent le tour de sa troupe; et si quelqu'un de ses chevaux sort du rang ou reste en arrière, il court à lui, le frappe d'un coup d'épaule et lui fait prendre sa place. 

    Ces animaux, sans être montés ni conduits par les hommes, marchent en ordre à peu près comme notre cavalerie. Quoiqu'ils en soient en pleine liberté, ils paissent en files et par brigades, et forment différentes compagnies sans se séparer ni se mêler. 

    Au reste, le cheval-chef occupe ce poste, encore plus fatigant qu'important, pendant quatre ou cinq ans; et lorsqu'il commence à devenir moins fort et moins actif, un autre cheval ambitieux de commander, et qui s'en sent la force, sort de la troupe, attaque le vieux chef, qui garde son commandement s'il n'est pas vaincu, mais qui rentre avec honte dans le gros de la troupe s'il a été battu, et le cheval victorieux se met à la tête de tous les autres et s'en fait obéir (1).
     

    A l'égard des chevaux sauvages qui se trouvent dans toute l'étendue du milieu de l'Asie, depuis le Volga jusqu'à la mer du Japon, ils paraissaient être, dit M. Forster, les rejetons des chevaux communs qui sont devenus sauvages. 

    Les Tartares, habitants de tous ces pays, sont des pâtres qui vivent du produit de leurs troupeaux, lesquels consistent principalement en chevaux, quoiqu'ils possèdent aussi des bœufs, des dromadaires et des brebis. 

    Il y a des Kalmouks ou des Kirghizes qui ont des troupes de mille chevaux qui sont toujours au désert pour y chercher leur nourriture. Il est impossible de garder ces nombreux troupeaux assez soigneusement, pour que de temps en temps il ne se perde pas quelques chevaux qui deviennent sauvages, et qui, dans cet état même de liberté, ne laissent pas de s'attrouper, on peut en donner un exemple récent. 

    Dans l'expédition du czar Pierre 1er contre la ville d' Azoph, on avait envoyé les chevaux de l'armée au pâturage, mais on ne put jamais venir à bout de les rattraper tous; ces chevaux devinrent sauvages avec le temps, et ils occupent actuellement le step (désert) qui est entre le Don, l'Ukraine et la Crimée: le nom tartare que l'on donne à ces chevaux en Russie et en Sibérie, est tarpan

    Il y a de ces tarpans dans les terres de l'Asie qui s'étendent depuis le 50e degré jusqu'au 30e de latitude. Les nations tartares, les Mongoux et les Mantcheoux, aussi-bien que les cosaques du Jaïk, les tuent à la chasse pour en manger la chair. 

    On a observé que ces chevaux sauvages marchent toujours en compagnie de quinze ou vingt, et rarement en troupes plus nombreuses; on rencontre seulement quelquefois un cheval tout seul, mais ce sont ordinairement de jeunes chevaux mâles, que le chef de la troupe force d'abandonner sa compagnie lorsqu'ils sont parvenus à l'âge où ils peuvent lui donner ombrage: le jeune cheval relégué tâche de trouver et de séparer quelques jeunes juments des troupeaux voisins, sauvages ou domestiques, et de les emmener avec lui, et il devient ainsi le chef d'une nouvelle troupe sauvage. 

    Toutes ces troupes de tarpans vivent communément dans les déserts arrosés de ruisseaux et fertiles en herbages; pendant l'hiver, ils cherchent et prennent leur pâture sur les sommets des montagnes, dont les vents ont emporté la neige: ils ont l'odorat très-fin, et sentent un homme de plus d'une demi-lieue; on les chasse et on les prend en les entourant et les enveloppant avec des cordes enlacées. 

    Ils ont une force surprenante, et ne peuvent être domptés lorsqu'ils ont un certain âge, et même les poulains ne s'apprivoisent que jusqu'à un certain point, car ils ne perdent pas entièrement leur férocité, et retiennent toujours une nature revêche.

    Ces chevaux sauvages sont, comme les chevaux domestiques, de couleurs très-différentes; on a seulement observé que le brun, l'isabelle, et le gris de souris, sont les poils les plus communs: il n'y a parmi eux aucun cheval pie, et les noirs sont aussi extrêmement rares. Tous sont de petite taille, mais la tête est à proportion plus grande que dans les chevaux domestiques; leur poil est bien fourni, jamais ras, et quelquefois même il est long et ondoyant; ils ont aussi les oreilles plus longues, plus pointues, et quelquefois rabattues de côté. 

    Le front est arqué, et le museau garni de longs poils; la crinière est aussi très-touffue, et descend au-delà du garrot: ils ont les jambes très hautes, et leur queue ne descend jamais au-delà de l'inflexion des jambes de derrière; leurs yeux sont vifs et plein de feu.
     

    (1) Extrait d'un Mémoire fourni à M. de Buffon, par M. Sanchez, ancien premier médecin des armées de Russie.
    (2)  Voyage de Gemelli Careri, tome V, page 162.
    (3) Description de l'Ukraine, par Beauplan.
    (4) Correspondance échangée avec Monsieur Foster concrnant les chevaux sauvages

     
     

    Les chevaux de Finlande

    En Finlande, au mois de mai, lorsque les neiges sont fondues, les chevaux partent de chez leurs maîtres et s'en vont dans de certains cantons des forêts, où il semble qu'ils se soient donné le rendez-vous. 

    Là ils forment des troupes différentes, qui ne se mêlent ni se séparent jamais; chaque troupe prend un canton différent de la forêt pour sa pâture; ils s'en tiennent à un certain territoire et n'entreprennent point sur celui des autres. 

    Quand la pâture leur manque, ils décampent et vont s'établir dans d'autres pâturages avec le même ordre. La police de leur société est si bien réglée, et leurs marches sont si uniformes, que leurs maîtres savent toujours où les trouver lorsqu'ils ont besoin d'eux; et ces animaux, après avoir fait leur service, retournent d'eux-mêmes vers leurs compagnons dans les bois. Au mois de septembre, lorsque la saison devient mauvaise, ils quittent les forêts, s'en reviennent par troupes, et se rendent chacun à leur écurie.

    Ces chevaux sont petits, mais bons et vifs, sans être vicieux. Quoiqu'ils soient généralement assez dociles, il y en a cependant quelques-uns qui se défendent lorsqu'on les prend, ou qu'on veut les attacher aux voitures; ils se portent à merveille, et sont gras quand ils reviennent de la forêt; mais l'exercice presque continuel qu'on leur fait faire l'hiver, et le peu de nourriture qu'on leur donne, leur fait bientôt perdre cet embonpoint. Ils se roulent sur la neige comme les autres chevaux se roulent sur l'herbe. Ils passent indifféremment les nuits dans la cour comme dans l'écurie, lors même qu'il fait un froid très-violent (1).

    (1) Journal d'un voyage au Nord, par M. Outhier, en 1736 et 1737. Amsterdam, 1746.
     
     
     

     

    Les chevaux des îles


    Il y a de fort bons chevaux dans toutes les îles de l'Archipel Grec; ceux de l'île de Crète (1) étaient en grande réputation chez les anciens pour l'agilité et la vitesse; cependant aujourd'hui on s'en sert peu dans le pays même, à cause de la trop grande aspérité du terrain, qui est presque partout fort inégal et fort montueux: les beaux chevaux de ces îles, et même ceux de Barbarie, sont de race arabe. 
     

    (1) Voyez la Description des îles de l'Archipel, par Dapper, p. 462.
     

     Les chevaux des anciens

    Maintenant, si l'on consulte les anciens sur la nature et les qualités des chevaux des différents pays, on trouvera (1) que les chevaux de Grèce, et surtout ceux de la Thessalie et de l'Épire, avaient de la réputation, et étaient très-bons pour la guerre; que ceux de l'Achaïe étaient les plus grands que l'on connût.

    Que les plus beaux de tous étaient ceux d'Égypte, où il y en avait une très-grande quantité, et où Salomon envoyait en acheter à un très-grand prix; qu'en Éthiopie, les chevaux réussissaient mal à cause de la trop grande chaleur du climat; que l'Arabie et l' Afrique fournissaient les chevaux les mieux faits, et surtout les plus légers et les plus propres à la monture et à la course; que ceux de l'Italie, et surtout de la Pouille, étaient aussi très-bons; qu'en Sicile, Cappadoce, Syrie, Arménie, Médie et Perse, il y avait d'excellents chevaux, et recommandables par leur vitesse et leur légèreté

    Ceux de Sardaigne et de Corse étaient petits, mais vifs et courageux; tandis que ceux d'Espagne ressemblaient à ceux des Parthes, et étaient excellents pour la guerre.  

    Il y avait aussi en Transilvanie et en Valachie des chevaux à tête légère, à grands crins pendants jusqu'à terre et à queue touffue, qui étaient très-prompts à la course; que les chevaux danois étaient bien faits et bons sauteurs; que ceux de Scandinavie étaient petits, mais bien moulés et fort agiles

    Les chevaux de Flandre étaient forts; et que les Gaulois fournissaient aux Romains de bons chevaux pour la monture et pour porter des fardeaux; que les chevaux des Germains étaient mal faits et si mauvais, qu'ils ne s'en servaient pas; que les Suisses en avaient beaucoup et de très bons pour la guerre; que les chevaux de Hongrie étaient aussi fort bons; et enfin, que les chevaux des Indes étaient fort petits et très-faibles.

    (1) Voy. Aldrovand, Hist. nat. des Solipèdes, pag. 48-63.
     

    Conclusion sur les races

    Il résulte de tous ces faits, que les chevaux arabes ont été de tous temps et sont encore les premiers chevaux du monde, tant pour la beauté que pour la bonté; que c'est d'eux que l'on tire, soit immédiatement, soit médiatement par le moyen des barbes, les plus beaux chevaux qui soient en Europe, en Afrique et en Asie; que le climat de l'Arabie est peut-être le vrai climat des chevaux, et le meilleur de tous les climats, puisqu'au lieu d'y croiser les races par des races étrangères, on a grand soin de les conserver dans toute leur pureté; 

    Et que si ce climat n'est pas par lui-même le meilleur climat pour les chevaux, les Arabes l'ont rendu tel par les soins particuliers qu'ils ont pris, de tous les temps, d'anoblir les races, en ne mettant ensemble que les individus les mieux faits et de la première qualité; que par cette attention suivie pendant des siècles, ils ont pu perfectionner l'espèce au-delà de ce que la nature aurait fait dans le meilleur climat.

    On peut encore en conclure que les climats plus chauds que froids, et surtout les pays secs, sont ceux qui conviennent le mieux à la nature de ces animaux; qu'en général les petits chevaux sont meilleurs que les grands; que le soin leur est aussi nécessaire à tous que la nourriture; qu'avec de la familiarité et des caresses on en tire beaucoup plus que par la force et les châtiments; que les chevaux des pays chauds ont les os, la corne, les muscles, plus durs que ceux de nos climats; que, quoique la chaleur convienne mieux que le froid à ces animaux, cependant le chaud excessif ne leur convient pas; que le grand froid leur est contraire; qu'enfin leur habitude et leur naturel dépendent presqu'en entier du climat, de la nourriture, des soins et de l'éducation.

     

    Le comportement

    Hongrer et les effets

    En Perse, en Arabie et dans plusieurs autres lieux de l'orient, on n'est pas dans l'usage de hongrer les chevaux, comme on le fait si généralement en Europe et à la Chine.

    Cette opération leur ôte beaucoup de force, de courage, de fierté, etc., mais leur donne de la douceur, de la tranquillité, de la docilité; pour la faire, on leur attache les jambes avec des cordes, on les renverse sur le dos, on ouvre les bourses avec un bistouri, on en tire les testicules, on coupe les vaisseaux qui y aboutissent et les ligaments qui les soutiennent, et après les avoir enlevés on referme la plaie, et on a soin de faire baigner le cheval deux fois par jour pendant quinze jours, ou de l'étuver souvent avec de l'eau fraîche, et de le nourrir pendant ce temps avec du son détrempé dans beaucoup d'eau, afin de le rafraîchir: cette opération se doit faire au printemps ou en automne, le grand chaud et le grand froid y étant également contraires. 

    A l'égard de l'âge auquel on doit la faire, il y a des usages différents: dans certaines provinces on hongre les chevaux dès l'âge d'un an ou dix-huit mois, aussitôt que les testicules sont bien apparents au-dehors; mais l'usage le plus général et le mieux fondé est de ne les hongrer qu'à deux et même à trois ans, parce qu'en les hongrant tard ils conservent un peu plus des qualités attachées au sexe masculin. 

    Pline (1) dit que les dents de lait ne tombent point à un cheval qu'on fait hongrer avant qu'elles soient tombées: j'ai été à portée de vérifier ce fait, et il ne s'est pas trouvé vrai; les dents de lait tombent également aux jeunes chevaux hongres et aux jeunes chevaux entiers, et il est probable que les anciens n'ont hasardé ce fait que parce qu'ils l'ont cru fondé sur l'analogie de la chute des cornes du cerf, du chevreuil, etc., qui, en effet, ne tombent point lorsque l'animal a été coupé. Au reste, un cheval hongre n'a plus la puissance d'engendrer, mais il peut encore s' accoupler, et l'on en a vu des exemples.

    (1) Voy, Pline, Histoire naturelle, in-8', Paris, 1685, tome II, liv, II, parag. LXXIV, page 558.
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    La mue


    Les chevaux, de quelque poil qu'ils soient, muent comme presque tous les autres animaux couverts de poil, et cette mue se fait une fois l'an, ordinairement au printemps, et quelquefois en automne; ils sont alors plus faibles que dans les autres temps, il faut les ménager, les soigner davantage, et les nourrir un peu plus largement. 

    Il y a aussi des chevaux qui muent de corne, cela arrive surtout à ceux qui ont été élevés dans des pays humides et marécageux, comme en Hollande.
     

    Hennissement

    Les chevaux hongres et les juments hennissent moins fréquemment que les chevaux entiers; ils ont aussi la voix moins pleine et moins grave: on peut distinguer dans tous cinq (1) sortes de hennissements différents, relatifs à différentes passions; le hennissement d'allégresse, dans lequel la voix se fait entendre assez longuement, monte et finit à des sons plus aigus; le cheval rue en même temps, mais légèrement, et ne cherche point à frapper; le hennissement du désir, soit d'amour, soit d'attachement, dans lequel le che val ne rue point, et la voix se fait entendre longuement et finit par des sons plus graves; le hennissement de la colère, pendant lequel le cheval rue et frappe dangereusement, est très court et aigu; celui de la crainte, pendant lequel il rue aussi, n'est guère plus long que celui de la colère, la voix est grave, rauque, et semble sortir en entier des naseaux; ce hennissement est assez semblable au rugissement d'un lion; celui de la douleur est moins un hennissement qu'un gémissement ou ronflement d'oppression qui se fait à voix grave, et suit les alternatives de la respiration. 

    Au reste, on a remarqué que les chevaux qui hennissent le plus souvent, surtout d'allégresse et de désir, sont les meilleurs et les plus généreux: les chevaux entiers ont aussi la voix plus forte que les hongres et les juments; dès la naissance le mâle a la voix plus forte que la femelle; à deux ans ou deux ans et demi, c' est-àdire à l'âge de puberté, la voix des mâles et des femelles devient plus forte et plus grave, comme dans l'homme et dans la plupart des autres animaux. 

    (1) Vide Cardan. de rerum Varietate, lib. VII, cap. 32,

    Les humeurs et la mémoire

    Lorsque le cheval est passionné d'amour, de désir, d'appétit, il montre les dents et semble rire; il les montre aussi dans la colère et lorsqu'il veut mordre; il tire quelquefois la langue pour lécher, mais moins fréquemment que le bœuf, qui lèche beaucoup plus que le cheval, et qui cependant est moins sensible aux caresses.

    Le cheval se souvient aussi beaucoup plus longtemps des mauvais traitements, et il se rebute bien plus aisément que le bœuf; son naturel ardent et courageux lui fait donner d'abord tout ce qu'il possède de forces; et lorsqu'il sent qu'on exige encore davantage, il s'indigne et refuse, au lieu que le bœuf, qui de sa nature est lent et paresseux, s'excède et se rebute moins aisément.
     

    Le sommeil

    Le cheval dort beaucoup moins que l'homme; lorsqu'il se porte bien il ne demeure guère que deux ou trois heures de suite couché, il se relève ensuite pour manger, et lorsqu'il a été trop fatigué il se couche une seconde fois, après avoir mangé; mais en tout il ne dort guère que trois ou quatre heures en vingt-quatre.

    Il y a même des chevaux qui ne se couchent jamais et qui dorment toujours debout.

    Ceux qui se couchent dorment aussi quelquefois sur leurs pieds: on a remarqué que les hongres dorment plus souvent et plus longtemps que les chevaux entiers.
     

    Alimentation 

    et boisson 

    Les quadrupèdes ne boivent pas tous de la même manière, quoique tous soient également obligés d'aller chercher avec la tête la liqueur qu'ils ne peuvent saisir autrement, à l'exception du singe, du maki et de quelques autres, qui ont des mains, et qui par conséquent peuvent boire comme l'homme, lorsqu'on leur donne un vase qu'ils peuvent tenir; car ils le portent à leur bouche, l'inclinent, versent la liqueur, et l'avalent par le simple mouvement de la déglutition.

    L'homme boit ordinairement de cette manière, parce que c'est en effet la plus commode; mais il peut encore boire de plusieurs autres façons, en approchant les lèvres et les contractant pour aspirer la liqueur, ou bien en y enfonçant le nez et la bouche assez profondément pour que la langue en soit environnée et n'ait d'autre mouvement à faire que celui qui est nécessaire pour la déglutition, ou encore en mordant, pour ainsi dire, la liqueur avec les lèvres, ou enfin, quoique plus difficilement, en tirant la langue, l'élargissant, et formant une espèce de petit godet qui rapporte un peu d'eau dans la bouche: la plupart des quadrupèdes pourraient aussi chacun boire de plusieurs manières, mais ils font comme nous, ils choisissent celle qui leur est la plus commode et la suivent constamment. 

    Le chien, dont la gueule est fort ouverte et la langue longue et mince, boit en lapant, c'est-à-dire en léchant la liqueur, et formant avec la langue un godet qui se remplit à chaque fois et rapporte une assez grande quantité de liqueur; il préfère cette façon à celle de se mouiller le nez.

    Le cheval au contraire, qui a la bouche plus petite et la langue trop épaisse et trop courte pour former un grand godet, et qui d'ailleurs boit encore plus avidement qu'il ne mange, enfonce la bouche et le nez brusquement et profondément dans l'eau, qu'il avale abondamment par le simple mouvement de la déglutition; mais cela même le force à boire tout d'une haleine, au lieu que le chien respire à son aise pendant qu'il boit.

    Aussi doit-on laisser aux chevaux la liberté de boire à plusieurs reprises, surtout après une course, lorsque le mouvement de la respiration est court et pressé.

    On ne doit pas non plus leur laisser boire de l'eau trop froide, parce qu'indépendamment des coliques que l'eau froide cause souvent, il leur arrive aussi, par la nécessité où ils sont d'y tremper les naseaux, qu'ils se refroidissement le nez, s'enrhument, et prennent peut-être les germes de cette maladie à laquelle on a donné le nom de morve, la plus formidable de toutes pour cette espèce d'animaux; car on sait depuis peu que le siège de la morve est dans la membrane pituitaire (1)

    C'est par conséquent un vrai rhume, qui à la longue cause une inflammation dans cette membrane; et d'autre côté, les voyageurs, qui rapportent dans un assez grand détail les maladies des chevaux dans les pays chauds, comme l'Arabie, la Perse, la Barbarie, ne disent pas que la morve y soit aussi fréquente que dans les climats froids; ainsi je crois être fondé à conjecturer que l'une des causes de cette maladie est la froideur de l'eau, parce que ces animaux sont obligés d'y enfoncer et d'y tenir le nez et les naseaux pendant un temps considérable, ce que l'on préviendrait en ne leur donnant jamais d'eau froide, et en leur essuyant toujours les naseaux après qu'ils ont bu. 

    Les ânes, qui craignent le froid beaucoup plus que les chevaux, et qui leur ressemblent si fort par la structure intérieure, ne sont cependant pas si sujets à la morve, ce qui ne vient peutêtre que de ce qu'ils boivent différemment des chevaux; car au lieu d'enfoncer profondément la bouche et le nez dans l'eau, ils ne font presque que l'atteindre des lèvres.

    (1) M. de la Fosse, maréchal du roi, a le premier démontré que le siège de la morve est dans la membrane pituitaire; et il a essayé de guérir des chevaux en les trépanant.
     

     

    considérations sur les maladies

    Je ne parlerai pas des autres maladies des chevaux; ce serait trop étendre l'histoire naturelle que de joindre à l'histoire d'un animal celle de ses maladies; cependant je ne puis terminer 1 'histoire du cheval sans marquer quelques regrets de ce que la santé de cet animal utile et précieux a été jusqu'à présent abandonnée aux soins et à la pratique, souvent aveugles, de gens sans connaissance et sans lettres. 

    La médecine que les anciens ont appelée médecine vétérinaire, n'est presque connue que de nom: je suis persuadé que si quelque médecin tournait ses vues de ce côté-là, et faisait de cette étude son principal objet, il en serait bientôt dédommagé par d'amples succès; que non seulement il s' enrichirait, mais même qu'au lieu de se dégrader il s'illustrerait beaucoup, et cette médecine ne serait pas si conjecturale et si difficile que l'autre: la nourriture, les mœurs, l'influence du sentiment, toutes les causes en un mot étant plus simples dans l'animal que dans l'homme et les  maladies doivent aussi être moins compliquées, et par conséquent plus faciles à juger et à traiter avec succès; sans compter la liberté qu'on aurait toute entière de faire des expériences, de tenter de nouveaux remèdes, et de pouvoir arriver sans crainte et sans reproches à une grande étendue de connaissances en ce genre, dont on pourrait même, par analogie, tirer des inductions utiles à l'art de guérir les hommes.

    Note c'est ce que fera Bourgelat mais les connaissances médicales de l'époque devront encore progresser

    web site en bibliography

    Georges Louis Leclerc Comte de Buffon l'Histoire Naturelle chapitre XIV Le Cheval La Plus Noble Conquête que l'homme ait faite est celle de ce fier et fougueux animal (1753) Caracole Favre
     
     

    LE CHEVAL. 


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